Les Echos du 5 novembre 2009 « France Télécom : déjà plus de 65.000 réponses au questionnaire sur le stress »
http://www.lesechos.fr/info/hightec/afp_00198876-france-telecom-deja-plus-de-65-000-reponses-au-questionnaire-sur-le-stress.htm
Un représentant du syndicat CFE-CGE commente cette participation des salariés au questionnaire proposé sur le stress vécu au travail : « C'est un très beau succès. Ça veut dire que les salariés avaient envie de s'exprimer. »
Cette remarque semble porteuse d’un étonnement latent. Les salariés ont envie de parler ? Les psychologues ne s’étonneront pas de ce désir, mais ne devraient-ils pas être interpelés par l’expression d’un étonnement devant l’envie de dire ? Les psychologues savent que le langage est capital pour la construction de soi. Cette connaissance a-t-elle été partagée ? Dans le passage à l’acte suicidaire de certains salariés les psychologues entendent la parole d’un sujet qui n’a pu s’exprimer autrement. Les psychologues questionnent-ils leur participation à ces formes d’impossibilité de transformer les maux en mots ? Comment pensent-ils leur rôle qui implique réflexion et action ?
Dans la sphère professionnelle, la retenue de la parole d’un individu -isolé de ses possibles collègues, évalué selon des critères qui inspirent la dissimulation de la pensée- est orchestrée par l’organisation du travail. Elle réduit les possibilités d’échanges considérés comme du temps perdu, et affaiblit les collectifs de travail, instances propices à la parole, au partage de l’expérience des difficultés rencontrées dans le réel du travail.
Mais tout au long des années sources de ces modifications organisationnelles préjudiciables, qu’est ce que les professionnels de l’écoute de la parole ont fait, ou n’ont pas fait, pour que soit considérée aujourd’hui comme un succès une action générant l’« envie de s’exprimer » sur une souffrance ? Alors que pour un sujet, seule la médiation de la parole permet d’exprimer la souffrance. Alors que le fait que les salariés ne disent rien ne signifie aucunement qu’ils n’ont rien à dire !
Considérons nous la parole comme Hamlet : « Des mots, des mots, des mots. », ou plutôt comme Lacan pour qui un mot n’est pas signe mais nœud de signification ? Dans « la Question de l’analyse profane » Freud rappelle la puissance du mot : « Des paroles peuvent faire un bien qu'on ne peut dire ou causer de terribles blessures. Certes, au commencement était l'acte, le verbe ne vint qu'après ; ce fut sous bien des rapports un progrès de la civilisation quand l'acte put se modérer jusqu'à devenir le mot. Mais le mot fut cependant à l'origine un sortilège, un acte magique, et il a gardé encore beaucoup de sa force antique. »
Comment le rôle et le pouvoir de la parole ont-ils pu être oubliés ? Ont-ils été retirés de la place publique au bénéfice des cabinets ? Réservés à l’individu et refusés au collectif de travail ? Parce que parler c’est penser, à condition de parler à quelqu’un qui nous comprenne, je pose la question de la responsabilité des psychologues, des psychanalystes, des psychiatres, des psychothérapeutes, dans ce constat de la disparition du désir de dire. Désir qui nous singularise, fait de nous un « je » et nous permet d’agir au quotidien sur le monde.
http://www.lesechos.fr/info/hightec/afp_00198876-france-telecom-deja-plus-de-65-000-reponses-au-questionnaire-sur-le-stress.htm
Un représentant du syndicat CFE-CGE commente cette participation des salariés au questionnaire proposé sur le stress vécu au travail : « C'est un très beau succès. Ça veut dire que les salariés avaient envie de s'exprimer. »
Cette remarque semble porteuse d’un étonnement latent. Les salariés ont envie de parler ? Les psychologues ne s’étonneront pas de ce désir, mais ne devraient-ils pas être interpelés par l’expression d’un étonnement devant l’envie de dire ? Les psychologues savent que le langage est capital pour la construction de soi. Cette connaissance a-t-elle été partagée ? Dans le passage à l’acte suicidaire de certains salariés les psychologues entendent la parole d’un sujet qui n’a pu s’exprimer autrement. Les psychologues questionnent-ils leur participation à ces formes d’impossibilité de transformer les maux en mots ? Comment pensent-ils leur rôle qui implique réflexion et action ?
Dans la sphère professionnelle, la retenue de la parole d’un individu -isolé de ses possibles collègues, évalué selon des critères qui inspirent la dissimulation de la pensée- est orchestrée par l’organisation du travail. Elle réduit les possibilités d’échanges considérés comme du temps perdu, et affaiblit les collectifs de travail, instances propices à la parole, au partage de l’expérience des difficultés rencontrées dans le réel du travail.
Mais tout au long des années sources de ces modifications organisationnelles préjudiciables, qu’est ce que les professionnels de l’écoute de la parole ont fait, ou n’ont pas fait, pour que soit considérée aujourd’hui comme un succès une action générant l’« envie de s’exprimer » sur une souffrance ? Alors que pour un sujet, seule la médiation de la parole permet d’exprimer la souffrance. Alors que le fait que les salariés ne disent rien ne signifie aucunement qu’ils n’ont rien à dire !
Considérons nous la parole comme Hamlet : « Des mots, des mots, des mots. », ou plutôt comme Lacan pour qui un mot n’est pas signe mais nœud de signification ? Dans « la Question de l’analyse profane » Freud rappelle la puissance du mot : « Des paroles peuvent faire un bien qu'on ne peut dire ou causer de terribles blessures. Certes, au commencement était l'acte, le verbe ne vint qu'après ; ce fut sous bien des rapports un progrès de la civilisation quand l'acte put se modérer jusqu'à devenir le mot. Mais le mot fut cependant à l'origine un sortilège, un acte magique, et il a gardé encore beaucoup de sa force antique. »
Comment le rôle et le pouvoir de la parole ont-ils pu être oubliés ? Ont-ils été retirés de la place publique au bénéfice des cabinets ? Réservés à l’individu et refusés au collectif de travail ? Parce que parler c’est penser, à condition de parler à quelqu’un qui nous comprenne, je pose la question de la responsabilité des psychologues, des psychanalystes, des psychiatres, des psychothérapeutes, dans ce constat de la disparition du désir de dire. Désir qui nous singularise, fait de nous un « je » et nous permet d’agir au quotidien sur le monde.
Valérie Tarrou
Freud, S. (1926). « La Question de l’analyse profane ». Paris : Gallimard folio.
Bonjour,
RépondreSupprimerje lis votre Blog depuis quelques jours, et je suis frappée par la justesse de vos propos et de vos interrogations.
Pour moi, étudiante en psychologie du travail, ce sont de vrais axes de pensée et un excellent complément aux cours que je suis. Merci.