samedi 17 octobre 2009

Vous avez dit stress ?

L'Express du 13-10-09
«Le stress au travail, prise de conscience tardive en France»
«PARIS - La récente vague de suicides à France Télécom a mis en lumière de manière dramatique les conséquences d'un phénomène longtemps minimisé en France, si ce n'est ignoré: le stress au travail.» Pour lire la suite : http://www.lexpress.fr/actualites/2/le-stress-au-travail-prise-de-conscience-tardive-en-france_794110.html

Parce que l’usage du mot stress semble parfois aléatoire et ne pas toujours relever d’un choix éclairé par la sémantique, soulignions l’importance de différencier les notions. La confusion de sens n’aide pas à la mise en mots des maux.

A l’étymologique incertaine, le mot stress viendrait du latin « stringere » (étreindre, serrer, resserrer, pincer – selon le Gaffiot), puis aurait été repris en langue anglaise pour désigner une contrainte. La notion de stress a pour origine les travaux du chercheur Hans Selye (1). Etendue à l’homme cette approche inclut, en plus des agressions physiques originelles, les situations de difficultés avec l’environnement social. La notion de stress désigne ainsi le processus d’adaptation de l’individu à cet environnement.

Vécue par chacun dans son corps, utilisée pour nommer un ressenti généré par des situations tant privées que professionnelles, la notion de stress reste indéterminée et le maintien de sa définition dans l’ambigüité permet de tout dire en disant « stress ». Cette notion-enveloppe est utilisée pour désigner aussi bien la fatigue que les troubles du stress post-traumatique, la souffrance au travail que la peur, le risque, la colère, que l’insatisfaction ou la frustration.

A ne pas s’accorder sur le sens précis du mot, il englobe causes, manifestations et conséquences. Employer le mot stress comme explicatif d’une situation contribue à opacifier et à banaliser un peu plus cette même situation. Ce qui participe à la difficulté de dire son ressenti face à une menace ou à une agression. A défaut d’une signification partagée, en disant « stress » la personne exprime déjà par la sonorité propre du mot la violence émotionnelle qui s’est emparée d’elle. Aussi insatisfaisant soit-il, ce mot donne une première forme au mal être éprouvé dans l’expérience relationnelle au travail.

« Stress » devrait être employé pour ce qu’il est : un symptôme, une réaction biologique révélatrice d'un phénomène global. Entendu comme l’expression d’un déséquilibre ressenti par un sujet au travail entre les exigences exprimées par l’organisation du travail et les ressources dont il dispose, le stress permet de comprendre que ce ne sont pas les épreuves du travail en elles-mêmes qui font vaciller, mais la difficulté ou l’impossibilité de les surmonter qui génèrent la souffrance. Le stress s’est enraciné dans les possibilités que l’on ressent mais que l’on ne peut pas mettre à l’œuvre.

Lorsque l'individu exposé à une situation stressante réprime ses émotions, lorsqu'il « prend sur lui », la souffrance s’exprime dans son corps. Il en va différemment si le sujet au travail a la capacité de, ou est aidé à, recouvrer une partie de son pouvoir d’agir sur la situation, de la penser, individuellement ou collectivement.

Si parler de stress ne dit rien de son étiologie, pour la psychologie du travail la souffrance commence quand il y a amputation du pouvoir d’agir sur soi ou sur son milieu, quand il y empêchement de penser la situation de travail dans sa variabilité (2), quand la part créative du travail s’arrête et qu’il y a certitude que le niveau atteint d’insatisfaction dans le travail ne peut plus diminuer (3).

Valérie Tarrou

(2) Clot, Y. (2008). « Travail et pouvoir d’agir ». Paris : Puf.
Davezies, P. (2008). « Médecine : le stress, un phénomène biochimique », revue Santé et Travail, n°64.
(3) Dejours, C. (2000). « Travail, usure mentale ». Paris : Bayard.
Estryn-Behar, M. (1997). « Stress et souffrance des soignants à l’hôpital - Reconnaissance, analyse et prévention ». Paris : Estem.
(1) Selye, H. (1972). « Le stress de la vie ». Paris : Gallimard.

3 commentaires:

  1. Par Danielle Daguisé :
    Selon moi il n'y a pas que le stress souffrance, né du déséquilibre entre les ressources du sujet et les situations auxquelles il est confronté. Il y a aussi le stress mobilisateur des ressources de celui qui a à faire un travail, privé ou professionnel, quand ce travail est celui dont parle Primo Levi, et se révèle être à la fois pas trop facile, ni inaccessible, et qui laisse l'espoir d'y arriver. Ce travail là met le sujet en tension vitale dans l'agir, et cette tension là, je suis d'accord avec Yves Clot, il faut la choyer car elle contient le potentiel du développement du pouvoir d'agir, et elle est nécessaire à l'homme pour vivre heureux.

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  2. Merci Valérie pour cette piqûre de rappel : gare à l'emploi de terme "fourre-tout". Le "stress" est aujourd'hui à toutes les sauces, notamment le stress professionnel ! Sans parler qu'il y aurait un "bon" stress et un "mauvais" stress ... Le risque est bel et bien de le banaliser voire d'opérer un déni de la souffrance ... Or, comme le souligne Dominique Huez, auteur du passionnant livre : "souffrir au travail, comprendre pour agir", dans l'article de l'express :"l'émergence de la visibilité des suicides (chez France Télécom) ne représente que la petite pointe de l'iceberg. Il y a beaucoup d'autres situations tout aussi dramatiques mais moins médiatisées". Il y a me semble-t-il un excellent rapport de l'INRS sur le stress au travail (clair et didactique), consultable là : http://www.inrs.fr/inrs-pub/inrs01.nsf/IntranetObject-accesParReference/Dossier%20Stress/$FILE/Visu.html
    Sabine Aumaître

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  3. Par A Champagne :
    Bien que le stress constitue à la base un moteur de l'individu, ce qui le pousse à agir, l'idée d'un "bon" stress, un stress producteur ou plutôt motivateur, semble toutefois un leurre au niveau physiologique. Car bien que le stress puisse avoir des retombées positives et que l'on puisse le percevoir positivement, comme le souligne Mme Daguisé, il n'empêche que ses retombées demeures néfastes physiologiquement surtout s'il se prolonge sur une longue période.

    Voici d'ailleurs un article traitant du professeur Eric Gosselin s'intéressant au mythe du stress positif.
    http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/sante/200903/23/01-839154-le-stress-positif-mythe-ou-realite.php

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