Propos de Marie Pezé recueillis par Simon Barthélémy du Journal l’Alsace – 09-sept-10 (1)
Marie Pezé, vous êtes psychologue, fondatrice de la première consultation Souffrance et Travail à l’hôpital Max-Fourestier de Nanterre, et auteur de «Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés» (Pearson, 2008). Nicolas Sarkozy propose que les personnes atteintes d’un taux d’incapacité de 10 %, et non plus de 20 %, puissent avoir droit à la retraite à 60 ans. Qu’en pensez-vous ?
20 %, cela n’avait pas l’air énorme, mais c’est un taux presque jamais atteint : comme si on devenait sourd, ou amputé des deux mains. Une main abîmée, c’est 5 % d’invalidité, or la main est l’organe du travail par excellence… Le problème, c’est que ces débats sur l’invalidité et la pénibilité se réfèrent aux tableaux des maladies professionnelles reconnues. Mais ceux-ci ne rendent pas compte de toutes les pathologies liées au travail physiques ou psychiques. Le « burn-out » (dépression liée au surmenage) ou certains troubles musculo-squelettiques n’y figurent pas, par exemple.
Une grande partie des souffrances liées au travail ne sont pas imputées à son organisation et aux employeurs, et sont donc à la charge de la Sécurité sociale, donc de toute la collectivité. Les traiter individuellement, dans le secret des cabinets médicaux, permet de les dissimuler.
Les syndicats souhaitent au contraire une reconnaissance collective de la pénibilité…
Les statistiques montrent que les ouvriers meurent plus tôt que les cadres, et qu’ils profitent donc moins de leur retraite. Certains métiers provoquent une usure rapide de l’organisme.
En même temps, nous sommes tous bombardés de mails et soumis à des milliards de sollicitations, la secrétaire comme le téléopérateur, et on observe de nouvelles pathologies liées à l’organisation du travail.
Se demander quels métiers doivent être déclarés pénibles, c’est un faux débat, qui noie sous des mots vagues la vraie question sur ce management pathogène. Les salariés français sont parmi les plus productifs au monde (3e), car il leur faut travailler vite, et en 35 heures. Ils arrivent à tenir, car ils sont aussi par ailleurs les plus gros consommateurs d’antidépresseurs, de psychotropes et d’arrêts maladie. Les troubles musculo-squelettiques se multiplient et coûtent très cher. En parler après le déclenchement de la maladie révèle notre incapacité à discuter d’une véritable prévention.
Comment procéder ?
Les commissions parlementaires ont toutes conseillé les mêmes choses : libérer la médecine du travail de son lien avec l’entreprise, et créer des cellules régionales pouvant aller sur le terrain, dans les PME qui n’ont pas toutes les moyens d’avoir leurs services médicaux.
Le débat sur les retraites est à replacer sur ces questions : en quoi le management crée-t-il des pathologies ? Comment faire pour qu’elles coûtent moins cher et n’empêchent pas les gens de s’épanouir dans leur travail ? Si c’était le cas, cela ne les dérangerait pas de travailler un peu plus longtemps.
(1) http://www.lalsace.fr/fr/france-monde/article/3746956,218/Penibilite-Un-faux-debat.html
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