lundi 28 septembre 2009

Suicide au travail. Rompre l’isolement

Le Monde – 28-09-09
"Nouveau suicide à France Télécom"
"Un salarié de France Télécom
s'est donné la mort, lundi 28 septembre dans la matinée, à Alby-sur-Chéran, en Haute-Savoie, portant à 24 le nombre de suicides au sein de l'entreprise depuis février 2008. L'information, révélée par Le Dauphiné Libéré, a été confirmée par la direction du groupe. L'employé s'est jeté d'un viaduc et a mis en cause dans une lettre la société qui l'employait."
Pour lire la suite de l’article :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/09/28/nouveau-suicide-a-france-telecom_1246318_3234.html#ens_id=1236711

L’une des premières enquêtes menées en France sur le suicide liés au travail, par Gournay, Laniece, et Kryvenac en 2003, propose comme élément essentiel dans le passage à l’acte l’isolement du salarié dans un système où il ne peut plus se raccrocher, ni à son travail qu’il ne maîtrise plus, ni à ses valeurs qui sont battues en brèche. Il n’est plus reconnu, il ne peut plus trouver d’aide parmi les collègues de travail, la hiérarchie devient indifférente sinon hostile… la personne perd pied.
Mis en échec au regard de ses exigences personnelles, le sujet perd confiance en lui, il se sent accablé de honte, les conditions de sa vie ordinaire se dégradent au travail comme dans sa famille, l’épuisement s’installe.
Ce repli sur un soi dégradé et cette exclusion des valeurs transforment alors le travail en coupe-circuit dans le courant des échanges que le sujet entretient avec le monde des autres et le sien propre. Dans cette situation d’isolement l’idée de recourir au suicide peut apparaître alors comme une délivrance possible.

Que faire pour offrir une autre porte de sortie ? Parler et écouter.
Rompre l’isolement, aider la personne qui s’enfonce à sortir de sa solitude affective, l’amener à parler. Relancer, quitte à dépasser ses propres réticences et celles de l’autre, l’échange, la mise en mots des situations vécues. Permettre l’expression, retrouver le chemin de la parole. Restaurer le lien oral et collectif facteur de la construction de la solidarité.

Que faire pour le psychologue du travail ? Apporter de l’aide dans une logique de consultation par l’écoute et la prise en charge des difficultés que le salarié ne peut exprimer à d’autres, pour restaurer dans la mesure du possible son pouvoir d’agir par lui-même sur sa situation personnelle de travail.

Valérie Tarrou

Clot, Y. (1999). La Fonction psychologique du travail. Paris : Puf
Dejours, C. (2005). « Nouvelles formes de servitude et suicide », revue Travailler n°13, Martin Média-Cnam.
Gournay, M., Laniece, F., Kryvenac, I., (2003), Étude des suicides liés au travail en Basse-Normandie, Société de Médecine et de Santé au Travail de Normandie, FFST :

Suicide au travail & identité - En quoi et comment le travail participe-t-il à la construction ou à la dislocation de l’identité personnelle ?

La situation délétère que connaissent depuis plus de deux ans les salariés de France Télécom donne lieu à de nombreux articles, interviews, plateaux TV et ouvrages qui s’attachent d’une part à témoigner de cette situation et d’autre part à comprendre et à expliquer les suicides de 23 salariés de ce groupe qui se sont tués pour le travail.

Christophe Dejours* dans le livre coécrit avec Florence Bègue « Suicide et travail : que faire ? », également dans des articles du Monde (16-09-09, 25-09-09) et de L’Humanité (21-09-09) analyse la signification de ces gestes dramatiques au regard des conditions de travail créées par la logique gestionnaire dominante dans les organisations de travail, également au regard de la conception majeure de la centralité du travail dans la construction identitaire de chaque personne.

Il s’agit ici de préciser ce concept d’identité pour mieux saisir ce qui peut être mis à sac dans le vécu subjectif d’un salarié par les nouvelles formes d’organisation du travail. Que ce salarié soit homme, femme, faible, solide, cadre ou ouvrier.


Le concept d’identité a été introduit dans les sciences humaines par Erik H. Erikson en 1950 avec son ouvrage « Enfance et Société ». Pourtant, le sens du concept « identité » n’est pas fixé. Chacune des sciences humaines tente de le préciser, ce qui donne de nombreuses définitions et approches. Si en sociologie, l’identité est collective, chacun peut en avoir plusieurs (sexe, croyance, groupe de travail…), la conception psychologique de l’identité est personnelle : un sujet n’a qu’une identité.

Cette identité unique, bien que composée de divers éléments : du sentiment de son être matériel, de son unité, de ses appartenances, de ses différences, de ses valeurs, témoigne d’une continuité temporelle, de l’autonomie et de l’existence de l’individu. Elle permet de se penser fidèle à soi-même à travers le temps et les transformations.
Continuité, pourtant l’identité est une part de nous même qui n’est jamais définitivement stabilisée, elle a besoin d’une confirmation quotidienne. En continuant à se construire, de façon privilégiée dans la relation à l’autre, affective comme professionnelle, elle permet de penser la part évolutive, imprédictible du devenir d’un sujet. Elle est nécessaire pour accueillir les mutations, les évolutions, externes comme internes, en particulier celles exigées par le travail. A la différence de la personnalité qui est constituée d’invariants précocement organisés en structure de personnalité et désigne ce qui ne change pas dans l’individu.

On comprend la difficulté d’accepter et de ressentir ce double mouvement : l’identité dans sa conception psychologique est à la fois continuité d’un soi identique à nul autre et à la fois, part instable, à construire tous les jours, qui demande des efforts, qui peut être menacée, et donner parfois lieu à une « crise » d’identité .

L’atteinte portée à l’identité, sa précarisation par la demande incessante d’adaptation, de déplacement, de transformation n’est pas vécue en pleine conscience. Face à des changements le salarié cherche à s’adapter, déploie des efforts, consent des sacrifices, dont celui de sa stabilité identitaire, qui déteignent sur sa famille, sa disponibilité, sa santé. De source privilégiée, le travail n’apporte plus au salarié l’élément principal qui assure le renforcement identitaire : la reconnaissance**. C'est-à-dire que n’existe plus la reconnaissance par autrui du travail effectivement réalisé. La seule carence de reconnaissance est douloureuse, mais qu’en est-il quand elle est remplacée par des paroles qui nient le travail accompli, méprisent l’investissement, et refusent la soumission pourtant exigée ?

Dans l’exercice empêché de bien faire son travail selon des critères collectivement validés et légitimes, un salarié ne peut plus se situer et ne peut plus être situé.
Le premier risque qu’il encourt est de se perdre dans sa construction identitaire.
Le deuxième risque est que cette construction entravée, tant personnelle que professionnelle, engendre une perception pervertie et culpabilisante de la situation.
Le troisième risque, dans l’augmentation de la souffrance vécue, est l’atteinte de la santé, mentale et physique, et la possibilité d’une décompensation avec pour conséquences possibles des pathologies telles l’angoisse, la dépression, des troubles-musculo-squelettiques… et le suicide, ultime moyen de dire que l’on est, qui l’on est.

Valérie Tarrou

*Psychiatre, psychanalyste, professeur titulaire de la chaire de Psychanalyse santé travail au Cnam.
** Thème prochainement abordé sur ce blog.

Dejours, C. ; Bègue, F (2009). Suicide et travail : que faire ? Paris : Puf.
Du Roy, I. (2009). Orange stressé. Le management par le stress à France Télécom. Paris : La Découverte.
Molinier, P. (2006). Les Enjeux psychiques du travail. Paris : Payot.
Ricoeur, P. (1990). Soi-même comme un autre. Paris : Seuil.



mardi 22 septembre 2009

Le blog OIST, pourquoi faire ?

L'Observatoire Indépendant Santé et Travail (OIST) publie les articles de Valérie Tarrou, psychologue du travail et psychanalyste, dans l'intention d'aider à mieux comprendre l'actualité de la psychologie du travail (sociale, événementielle...) grâce aux apports de la théorie.