vendredi 26 mars 2010

Actualité : Une avancée dans la reconnaissance de l’impact du «mode de management» sur la violence et la souffrance au travail

Après 6 mois de négociations, patronat et syndicats sont parvenus à un accord reconnaissant la responsabilité du mode de management d’une entreprise dans le harcèlement, la violence et la souffrance au travail.
La reconnaissance n’est pas un gage de bonheur, mais quand elle est inexistante, les efforts, les doutes, les découragements ne peuvent plus trouver de sens.
Ci-dessous l’article du Monde du 26 mars 2010.

"Harcèlement au travail : le patronat reconnaît la responsabilité du management"

"Patronat et syndicats ont trouvé, vendredi 26 mars, un accord sur le harcèlement et la violence au travail. Au bout de six mois de négociations, les entreprises ont finalement accepté de reconnaître que le mode de management ou de fonctionnement pouvait être responsable de ces phénomènes.
Les partenaires sociaux, qui se sont retrouvés vendredi pour une huitième séance à Paris, ont finalisé un texte permettant de "mieux prévenir ces agissements, les réduire et si possible les éliminer". Ils divergeaient jusqu'à présent sur un point majeur : les syndicats (CGT, CFDT, CFTC, FO, CFE-CGC) souhaitaient que soit inscrit dans l'accord que "certaines formes d'organisations du travail et de gestion du personnel provoquent par elles-mêmes de la violence et du harcèlement". Au final, le texte ne parle pas d'organisation du travail, mais de mode de management et de mode de fonctionnement de l'entreprise, deux formules qui semblent satisfaire les syndicats.

Définitions. Selon les termes de l'accord, le harcèlement survient "lorsqu'un ou plusieurs salariés font l'objet d'abus, de menaces et/ou d'humiliations répétés et délibérés dans des circonstances liées au travail". La violence "va du manque de respect à la manifestation de la volonté de nuire", "de l'incivilité à l'agression physique" et peut prendre la forme "d'agressions verbales, comportementales, notamment sexistes, d'agressions physiques". Il est précisé que "les phénomènes de stress" qui "découlent de facteurs tenant à l'organisation du travail, l'environnement de travail ou une mauvaise communication dans l'entreprise" peuvent aussi entraîner un harcèlement et de la violence au travail.

Prévention. L'employeur doit "manifester une vigilance accrue à l'apparition de certains indicateurs", comme "des conflits personnels répétés" ou "des plaintes fréquentes de la part de salariés". Mais la prévention passe aussi par "une meilleure sensibilisation et une formation adéquate des responsables hiérarchiques et des salariés", ainsi que par "des mesures visant à améliorer l'organisation, les processus, les conditions et l'environnement de travail".

Actions. En cas de harcèlement ou de violence au travail, l'entreprise examinera "l'ensemble des éléments de l'environnement de travail", comme les "comportements individuels, le modes de management, la relation avec la clientèle, mode de fonctionnement de l'entreprise, etc.". Les salariés harcelés ou agressés doivent faire l'objet d'un accompagnement (soutien médical, psychologique, aide à la réinsertion, voire accompagnement juridique)."

http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/03/26/harcelement-au-travail-le-patronat-reconnait-la-responsabilite-du-management_1325002_3224.html

jeudi 25 mars 2010

Taylorisme et néo-taylorisme. Les « nouvelles » formes d’organisation du travail

« Nouveau » management ? « Nouvelles » formes d’organisation du travail ? Par rapport à quoi ? Avec quels « nouveaux » effets sur la santé ?

Comme l’indique l’article du journal La Croix (1), le changement se mesure à l’aune de l’organisation taylorienne du travail. Mode d’organisation du travail né aux Etats-Unis, le taylorisme est progressivement installé en France de 1910 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, il connut son essor dans les années 50 et 60.
Le taylorisme est issu de la volonté de séparer la pensée et le geste dans l’objectif d’augmenter la vitesse de travail. Les connaissances et les compétences détenues par les ouvriers de métier sont alors considérées comme un obstacle au développement de la productivité. Désincarné, transformé en ‘bonnes pratiques’ par un bureau des méthodes, ce savoir devenu standardisé et chronométré est imposé à des ouvriers non formés, sans respect ni de leur personne ni de leur santé.

Les modèles émergents de productivité remplacent-ils le taylorisme ou s’y ajoutent-ils ? Quelles modifications apportent-ils aux conditions de travail ? Génèrent-ils des formes spécifiques de souffrance ? Une réflexion à partir de trois points.

- Accroître la productivité passe maintenant par une flexibilité de la production et donc une flexibilité du temps de travail des salariés. Des mots comme polyvalence, rotation, travail partiel, annualisé, à domicile, sont devenus familiers. Se rappelle-t-on depuis combien de temps ils appartiennent au vocabulaire du travail ? Pas plus d’une vingtaine d’années. Et pourtant la flexibilité quantitative (temps) et qualitative (compétences) constitue un mode de gestion du personnel.

- La standardisation de la qualité de la production, magnifiée par la logique de certification, de normes, de labels…, et présentée comme une garantie de qualité, ne peut-elle être entendue comme une nouvelle étape dans l’appauvrissement du geste de métier ? Cette quête de la qualité dite totale fige le geste de travail, ne laissant plus d’espace autorisé ni à la créativité de chacun, ni à l’élaboration du beau geste de métier. Les critères de qualité pour fabriquer un objet ou pour fournir un service ne relèvent plus d’un collectif de travail et ne peuvent donc plus être source de la reconnaissance de ses pairs.

- L’effacement du rôle des collectifs de travail est renforcé par l’individualisation des objectifs de performance, des entretiens d’évaluation, de la rémunération. Egalement par une prescription individuelle de l’autonomie, « Soyez responsable », dont le contrôle par l’informatique devient abstrait, invisible et psychiquement omniprésent.

Ces trois points, flexibilité, standardisation de la qualité et autonomie, semblent à priori l’antithèse du taylorisme. Ils réintroduisent, voire prescrivent, la pensée individuelle dans un geste de travail présenté comme destiné à produire un travail satisfaisant tant pour le salarié que pour le client final.
Ces nouvelles données du travail s’inscrivent pourtant dans la perspective avouée, et valorisée, d’une productivité toujours en augmentation, bien que s’accompagnant d’une réduction officielle du temps de travail.

Le doute s’insinue alors. Ces modifications apportées aux conditions de travail contribuent-elles vraiment au développement du sujet ?
- La flexibilité du temps de travail ne trouve-t-elle pas son corollaire dans la précarité ?
- La mise en œuvre d’une qualité standardisée ne nuit-elle pas à la réalisation d’un travail répondant aux règles de métier, source de satisfaction et de reconnaissance ?
- L’individualisation des performances ne tue-t-elle pas l’entraide ?

Les modifications apportées aux conditions de travail tendent à abîmer le travail lui-même et entraînent d’une part, l’apparition de nouvelles formes de souffrance psychique : états confusionnels, isolement,… et d’autre part, l’augmentation de pathologies existantes : les troubles musculo-squelettiques, les pathologies de surcharge, les états de stress post-traumatiques…

Consentir à faire du sale boulot dégrade les conditions de travail, les solidarités, l’image de soi et produit une souffrance éthique, qui n’est tenable, pour un temps, qu’au prix de sa santé. La souffrance naît d’avoir accepté de faire ce qui nous a été demandé de faire alors qu’on le reprouve. La difficulté actuelle est de supporter la séparation travail et valeurs tant individuelles que collectives.

Valérie Tarrou

1)
http://www.la-croix.com/Associer-les-salaries-pour-stimuler-l-innovation/article/2419206/4079

samedi 13 mars 2010

La « fée du logis » ou le travail invisible

La patiente : « Mon mari gagne plus d’argent que moi, mais c’est normal, il fait plus d’heure de travail que moi. »
Le psy : « Si vous additionnez vos heures de travail à l’extérieur et vos heures de travail à la maison, combien d’heures pensez vous que vous travaillez par jour ? »
La patiente : « Mais à la maison, ce n’est pas du travail ! »
Le psy : « A quelle heure vous levez vous ? »
La patiente : « A 6h30… et je n’arrête pas jusqu’à 21 heures… La maison, les enfants, le travail, les enfants, la maison. Je n’ai jamais 10 secondes pour moi. »

Les tâches « discrètes » (1) historiquement dévolues à la femme dans la maison sont particulièrement difficiles à évaluer. Ce savoir-faire invisible n’est ni formalisé ni reconnu. Son invisibilité n’est pas due au seul déni de ceux qui en bénéficie, ce travail est perçu comme naturel. Naturel de savoir faire face aux contraintes du travail domestique, naturel de savoir prendre en charge les enfants, naturel de surajouter avec discrétion ces responsabilités à l’organisation de son travail et de son temps de femme.

Les tentatives de mise en visibilité de cette activité « qui ne laisse pas de traces » (1) trouvent l’explication de leur échec dans cette absence de tangibilité. Ne laissant pas de traces, elle ne produit pas d’objet en dehors de soi.

Pour penser l’exercice d’un travail relationnel (chez soi ou dans une activité rémunérée) il est pourtant nécessaire de le dénaturaliser et de le faire apparaître. Nécessaire pour se permettre de se retrouver, de donner un sens à sa vie qui réponde à ses propres aspirations et ne pas s’éteindre dans l’effacement de soi.

Le livre de Pascale Molinier, « L’Enigme de la femme active », est à mettre absolument entre les mains de toutes les femmes, mais également de tous les hommes. L’auteure, docteur en psychologie, analyse et enrichit cette réflexion sociale située au cœur de la vie privée comme de la vie professionnelle : compassion et égoïsme, tradition et féminisme, identité masculine et identité féminine, activité créatrice et vie de famille…

Apporter à ses enfants amour et soins, former un couple stable, et répondre à l’exigence de s’accomplir dans d’autres vies, que celle de mère et de compagne, avec le même sérieux, la même intensité, la même souffrance et le même bonheur. Cela se pense et se travaille.

Valérie Tarrou

1) Molinier, P. (2003). « L’Enigme de la femme active- Egoïsme, sexe et compassion ». Paris : Payot

dimanche 28 février 2010

Rouge, orange ou verte : des listes qui n'évaluent toujours pas le travail

Jeudi 18 février 2010 une carte tricolore (rouge, orange, vert) témoignait de la contagion de la passion évaluatrice des entreprises. Le ministère du Travail publiait sur son site la liste mesurant le degré d'engagement des entreprises dans des négociations pour prévenir le stress au travail.

Il s’agissait bien là d’une évaluation individuelle des résultats. Une démarche gestionnaire considérée par les organisations de travail comme allant-de-soi, légitime et source de motivation.

Comment penser, alors, le retrait de la consultation publique, le lendemain même, de la liste rouge (sociétés qui n'ont rien entrepris ou n'ont pas répondu au questionnaire soumis par le ministère) et de la liste orange (entreprises qui ont engagé une ou plusieurs réunions de négociations ou de discussions) ?

Un classement qui présentait les résultats d'une mesure dite phare du plan national d'urgence lancé début octobre par Xavier Darcos suite aux suicides de salariés de France Télécom.

Pourquoi avoir retiré ce bilan ? La circonspection aurait-elle été de mise ? Les entreprises auraient elles argué qu’il n’était donné ainsi à voir que le résultat de leur travail et non la qualité des efforts engagés ? Ni leur intensité ou leur contenu pour initier des négociations sur le stress avant le 1er février ?

Au-delà des conséquences directes que cette évaluation pouvait avoir sur leurs ventes ou leur image, les entreprises auraient-elles ressenti les effets pervers d’une évaluation qui ne tient pas compte du décalage existant entre le travail prescrit et la réalité concrète de la situation de travail ? Auraient-elles compris que le refus de la mise en visibilité du travail réel génère une souffrance psychique et érode l’envie de s’investir.

De ce point de vue, le retrait des listes stigmatisantes favorisera peut-être la mise au travail des entreprises sur la question de la prévention des risques d’atteinte à la santé mentale des salariés.

Les listes restent consultables sur le net. La liste verte (entreprises ayant signé un accord de fond ou de méthode) reste visible sur le site du ministère du Travail qui s'est engagé à publier la mise à jour des listes rouge et orange d'ici deux mois.
http://www.travailler-mieux.gouv.fr/Plan-d-urgence-sur-la-prevention.html
Les listes rouge et orange continuent de circuler, par exemple :
http://carlanoirci.wordpress.com/2010/02/20/liste-censuree-des-entreprises-listees-en-rouge-pour-un-risque-de-gros-stress/
http://voila-le-travail.fr/2010/02/21/stress-la-liste-rouge-retrouvee/

Que le retrait de ces listes rappelle que l’évaluation des résultats, des compétences ou des performances, « pourtant n’est toujours pas l’évaluation du travail » (1).

Valérie Tarrou

1) Dejours, C. (2003). « L’Evaluation du travail à l’épreuve du réel ». Paris : Inra.

mercredi 24 février 2010

Maladie professionnelle : une obligation de sécurité de résultat pour l’employeur

Le travail doit être adapté à l’homme et non l’inverse. Convoquer cette logique est une nécessité, en particulier pour la prévention des risques psychosociaux en entreprise.

L’employeur est tenu à mettre en œuvre des démarches qui témoignent de l’engagement de l’entreprise à respecter ce principe d’adaptation du travail à l’homme, en particulier par la réalisation et la mise à jour annuelle du document unique (1). Plus récemment, en s’engageant dans le plan d’action d’urgence contre le stress instauré par le ministère du Travail (2).

En cas d'accident de travail ou de maladie professionnelle, la responsabilité civile de l’employeur peut être engagée si la faute inexcusable est reconnue, cela entraînant une réparation du préjudice subi (souffrances morales et physiques, esthétiques…).

En la matière, depuis 2002, s’impose à l’employeur une obligation de sécurité de résultat, et non plus seulement de moyen, dans l’organisation d’actions de prévention des risques psychosociaux. Il lui faut aller plus loin que la norme, donc aussi loin que possible car en la matière il n’y a pas de norme.

La loi et la jurisprudence encadrent cette obligation. Un arrêt de référence de la chambre sociale de la Cour de cassation(n°837) en date du 28 février 2002 adopte une définition de la faute inexcusable :
« Mais attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. »

La responsabilité de l’employeur est donc engagée, pour les maladies professionnelles liées en particulier à l’amiante, pour les accidents du travail liés notamment au risque mécanique ou électrique, ainsi que pour les risques psychosociaux, dont le harcèlement moral est une illustration.

Le tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS) de Tours vient pourtant de rejeter la «faute inexcusable» d’EDF dans le suicide d’un technicien supérieur travaillant à la centrale nucléaire de Chinon. Alors que le suicide de Dominique Peutevynck a été reconnu comme maladie professionnelle par la CPAM de Tours, puis par ce même tribunal, ce qui établit « un lien direct et essentiel » entre le passage à l’acte du salarié et ses conditions de travail.

Il est précisé dans l’article paru le 23 février 2010 dans l’Express (3) sous le titre « Suicide d'un salarié d'EDF : pas de faute inexcusable de l'employeur » qu’un appel de cette décision a été interjeté. Il sera intéressant de connaître la position qu’adoptera la cour d’appel d’Orléans : le suicide ayant été reconnu maladie professionnelle, sur la base de quels critères (juridiques, organisationnels,…) l’employeur sera-t-il ou ne sera-t-il pas tenu pour responsable de la souffrance ressentie par cet homme dans son rapport au travail ?

Valérie Tarrou

1) Le document unique est la transposition par écrit de l’évaluation des risques professionnels. Il a été créé par le décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001 (art. R.4121-1 du code du Travail), il est obligatoire pour toutes les entreprises et associations de plus de un salarié et permet de lister et hiérarchiser les risques pouvant nuire à la sécurité de salarié et de préconiser des actions visant à les réduire voire les supprimer.

2) Plan d’action d’urgence contre le stress : renforcer la prévention des risques professionnels en obligeant les entreprises à des négociations sur l’amélioration des conditions de travail. Le 17 février 2010 le ministère du Travail a publié le classement actuel des entreprises ayant engagées des actions : http://www.travailler-mieux.gouv.fr/Plan-d-urgence-sur-la-prevention.html
Cf article ci-dessous du 2 février.

3) http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/suicide-d-un-salarie-d-edf-pas-de-faute-inexcusable-de-l-employeur_850815.html

vendredi 19 février 2010

Invitée pour des échanges blog-travail sur RFI

Invitée sur RFI à parler de mon blog consacré au travail, c’est en compagnie de Sabine Aumaître (« Blog de Sabine Aumaître ») et d’ Elsa Fayner (blog « Et voilà le travail »), que j’ai répondu aux questions de Ziad Maalouf et de Cédric Kalonji pour l’émission l’Atelier des médias.

L’Atelier des médias sur RFI, 89 FM à Paris, de 11h10-11h30 :
R/Evolutions dans les médias, de 11h33-12h00 : Médias du monde + Les Observateurs de France 24 et de 12h10-12h30 : MondoBlog. La rubrique Mondoblog de cette web-émission participative partage et discute sa veille de la blogosphère francophone.

Diffusion de ces échanges samedi 20 février à 12h10. Pour une écoute en ligne (n°116-4) :
http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/emission-1164-les-blogs-qui

Ces échanges ont questionnés l’origine de ma démarche.
En tant que psychologue du travail, j’inscris principalement mon action dans un champ thérapeutique. Créer ce blog est le moyen de proposer une autre forme d’aide, en présentant des clés de compréhension théoriques des situations de travail.
Comprendre « comment c’est arrivé ? », « pourquoi ça m’est arrivé à moi ? » est une étape qui permet de redonner du sens à l’histoire vécue, de pouvoir la penser sur un mode autre que défensif.
Le travail est un élément majeur de la construction de soi, le travail nous construit.Quand est maltraité le rapport instauré entre soi et le travail, un pilier fondamental de l’identité personnelle est ébranlé.Tout sujet est amené à décompenser quand il est porté atteinte à son rapport subjectif au travail. Seul le mode de décompensation est d’ordre personnel.Il ne s’agit point ici de fragilité individuelle. Plus un sujet est investi dans son travail, se donne et reçoit, plus une rupture induite par des changements d’organisation du travail peut avoir des effets pathogènes.

Parvenir à remettre de l’ordre logique dans une situation douloureuse aide à sortir de la confusion. Ce blog tend à participer à cette quête de sens, dans les situations individuelles, dans l’actualité sociale, par des apports théoriques de psychologie du travail.

Valérie Tarrou

dimanche 14 février 2010

Pour ne pas taire les suicides...

Le travail continue à pousser certains salariés au suicide, pourtant l'écho de ces passages à l'acte semble diminuer. Les difficultés rencontrées par les acteurs sociaux, économiques, politiques, pour répondre activement aux questions « que faire après un suicide ? » et « que transformer dans l'organisation du travail pour prévenir les décompensations ? » généreraient-elles un trouble dans les pensées poussant au silence, là où il serait nécessaire que tout le monde parle ? Dans cette logique, reprise ci-dessous, d'un article du Monde paru vendredi 12 février 2010 : « Deux nouveaux suicides à France Télécom ».
« Deux salariés de France Télécom se sont suicidés ces derniers jours hors de leurs lieux de travail, a annoncé vendredi 12 février la direction, qui ne privilégie ni n'exclut aucune hypothèse quant à un lien éventuel avec le travail."L'entreprise est sous le choc", a déclaré un porte-parole de France Télécom, groupe déjà marqué par une série de suicides de salariés en 2009. "A l'heure qu'il est, on ne peut ni privilégier ni exclure aucune causalité." Ces deux cas portent à cinq le nombre de suicides de salariés depuis début janvier, tous en dehors de leur lieu de travail, d'après le syndicat SUD. La direction les a tous a confirmés.
Le dernier cas est celui d'un salarié âgé de 32 ans, employé à Dijon dans le domaine des services aux entreprises, qui s'est suicidé jeudi soir à son domicile. D'après une source syndicale, il était cadre et, comme 35 % des salariés de France Télécom, sous contrat de droit privé. Après un arrêt longue maladie, il avait repris le travail il y a quelques mois.
Le second est un technicien d'une cinquantaine d'années de la Haute-Normandie, qui s'est donné la mort dans une forêt mardi 9 février. Une enquête de gendarmerie est en cours, a précisé France Télécom. D'après SUD, il avait le statut de fonctionnaire.
Le nombre de suicides de salariés de France Télécom en deux ans (2008 et 2009) s'élevait à trente-cinq au 31 décembre dernier, selon plusieurs syndicats. Le 1er décembre, la direction avait annoncé avoir transmis à l'inspection du travail trente-deux cas de suicides de salariés en deux ans.

"Depuis début janvier cela commence à faire beaucoup, sans compter au moins trois tentatives de suicides, cela rappelle la crise de juillet 2009", a déclaré Patrick Ackermann
, du syndicat SUD, également membre de l'Observatoire
du stress et des mobilités forcées de France Télécom, mis en place par les fédérations syndicales CFE-CGC et SUD de l'entreprise.
De son côté, la CGT, prudente dans l'attente de davantage d'informations sur ces cas, réclame "d'aller plus vite dans les négociations en cours sur l'organisation du travail, qui est pathologique". La CFDT s'est également déclarée "inquiète" tout en précisant qu'elle attendait les résultats des enquêtes.
Pour M. Ackermann, "la tension est très forte dans l'entreprise, d'autant que la direction met du temps à reconnaître que des suicides ont un lien avec le travail". Il fait notamment allusion au suicide d'un salarié fonctionnaire d'Annecy le 28 septembre dernier. Alors qu'une étude commandée par le comité d'hygiène et de sécurité (CHSCT) a conclu au lien avec le travail, la direction ne l'a pas encore classé en accident de service. Le comité central d'entreprise de France Télécom a demandé dans une motion il y a quelques jours que cela soit fait très rapidement.
France Télécom a expliqué, de son côté, attendre les conclusions début mars d'un inspecteur général des affaires sociales nommé par le ministre du travail en novembre pour rendre un avis sur la reconnaissance de suicides de fonctionnaires de France Télécom en accident de service. »