jeudi 25 mars 2010

Taylorisme et néo-taylorisme. Les « nouvelles » formes d’organisation du travail

« Nouveau » management ? « Nouvelles » formes d’organisation du travail ? Par rapport à quoi ? Avec quels « nouveaux » effets sur la santé ?

Comme l’indique l’article du journal La Croix (1), le changement se mesure à l’aune de l’organisation taylorienne du travail. Mode d’organisation du travail né aux Etats-Unis, le taylorisme est progressivement installé en France de 1910 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, il connut son essor dans les années 50 et 60.
Le taylorisme est issu de la volonté de séparer la pensée et le geste dans l’objectif d’augmenter la vitesse de travail. Les connaissances et les compétences détenues par les ouvriers de métier sont alors considérées comme un obstacle au développement de la productivité. Désincarné, transformé en ‘bonnes pratiques’ par un bureau des méthodes, ce savoir devenu standardisé et chronométré est imposé à des ouvriers non formés, sans respect ni de leur personne ni de leur santé.

Les modèles émergents de productivité remplacent-ils le taylorisme ou s’y ajoutent-ils ? Quelles modifications apportent-ils aux conditions de travail ? Génèrent-ils des formes spécifiques de souffrance ? Une réflexion à partir de trois points.

- Accroître la productivité passe maintenant par une flexibilité de la production et donc une flexibilité du temps de travail des salariés. Des mots comme polyvalence, rotation, travail partiel, annualisé, à domicile, sont devenus familiers. Se rappelle-t-on depuis combien de temps ils appartiennent au vocabulaire du travail ? Pas plus d’une vingtaine d’années. Et pourtant la flexibilité quantitative (temps) et qualitative (compétences) constitue un mode de gestion du personnel.

- La standardisation de la qualité de la production, magnifiée par la logique de certification, de normes, de labels…, et présentée comme une garantie de qualité, ne peut-elle être entendue comme une nouvelle étape dans l’appauvrissement du geste de métier ? Cette quête de la qualité dite totale fige le geste de travail, ne laissant plus d’espace autorisé ni à la créativité de chacun, ni à l’élaboration du beau geste de métier. Les critères de qualité pour fabriquer un objet ou pour fournir un service ne relèvent plus d’un collectif de travail et ne peuvent donc plus être source de la reconnaissance de ses pairs.

- L’effacement du rôle des collectifs de travail est renforcé par l’individualisation des objectifs de performance, des entretiens d’évaluation, de la rémunération. Egalement par une prescription individuelle de l’autonomie, « Soyez responsable », dont le contrôle par l’informatique devient abstrait, invisible et psychiquement omniprésent.

Ces trois points, flexibilité, standardisation de la qualité et autonomie, semblent à priori l’antithèse du taylorisme. Ils réintroduisent, voire prescrivent, la pensée individuelle dans un geste de travail présenté comme destiné à produire un travail satisfaisant tant pour le salarié que pour le client final.
Ces nouvelles données du travail s’inscrivent pourtant dans la perspective avouée, et valorisée, d’une productivité toujours en augmentation, bien que s’accompagnant d’une réduction officielle du temps de travail.

Le doute s’insinue alors. Ces modifications apportées aux conditions de travail contribuent-elles vraiment au développement du sujet ?
- La flexibilité du temps de travail ne trouve-t-elle pas son corollaire dans la précarité ?
- La mise en œuvre d’une qualité standardisée ne nuit-elle pas à la réalisation d’un travail répondant aux règles de métier, source de satisfaction et de reconnaissance ?
- L’individualisation des performances ne tue-t-elle pas l’entraide ?

Les modifications apportées aux conditions de travail tendent à abîmer le travail lui-même et entraînent d’une part, l’apparition de nouvelles formes de souffrance psychique : états confusionnels, isolement,… et d’autre part, l’augmentation de pathologies existantes : les troubles musculo-squelettiques, les pathologies de surcharge, les états de stress post-traumatiques…

Consentir à faire du sale boulot dégrade les conditions de travail, les solidarités, l’image de soi et produit une souffrance éthique, qui n’est tenable, pour un temps, qu’au prix de sa santé. La souffrance naît d’avoir accepté de faire ce qui nous a été demandé de faire alors qu’on le reprouve. La difficulté actuelle est de supporter la séparation travail et valeurs tant individuelles que collectives.

Valérie Tarrou

1)
http://www.la-croix.com/Associer-les-salaries-pour-stimuler-l-innovation/article/2419206/4079

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