Ci-dessous, une interview d'Yves Clot réalisée par Sandrine Chauvin et publiée sur capital.fr en mars 2011 : "Les entreprises ne valorisent pas assez le travail bien fait".
Un an après l'affaire des suicides à France Télécom, 1.300 entreprises de plus de 1.000 salariés ont conclu des accords sur les risques psychosociaux et mis en place des plans de prévention du stress. Pas suffisant toutefois, pour Yves Clot, titulaire de la chaire de psychologie du travail du Cnam * : "les employeurs se contentent du diagnostic sans prendre de vraies mesures".
Capital.fr : Il y a un an, le ministère du Travail publiait sur son site la liste des bons et des mauvaises élèves en matière de stress au travail. Cette pression médiatique a-t-elle été efficace ?
Yves Clot : Les accords sur les risques psycho-sociaux permettent surtout aux employeurs de s'abriter derrière l'évaluation des risques pour faire semblant d'agir. Dans les bureaux, rien n'a changé. Les salariés ont simplement rempli un questionnaire sans que cela ait des répercussions sur leur quotidien. Le problème de fond reste donc entier. Il existe un écart grandissant entre la conception du "travail bien fait" du salarié et les mesures de performance imposées par l'entreprise. Moins de temps, moins d'effectifs, moins d'investissements… ils n'ont plus les moyens de faire un travail qu'ils estiment correct, ce qui entretient un mal-être ambiant, avec comme conséquences une épidémie de troubles musculo-squelettiques, une explosion des maladies professionnelles, voire des suicides en série…
Capital.fr : Les entreprises en ont-elles conscience ?
Yves Clot : Nous sommes plutôt dans le règne du déni. D'un côté, les dirigeants imposent une conception de la performance court-termiste et productiviste. De l'autre, les DRH mettent en place des cellules d'écoute pour recueillir les plaintes des salariés mais sans jamais les prendre en compte. Les entreprises ne valorisent pas assez le travail bien fait. Les entretiens annuels, par exemple, sont totalement détournés. L'objectif est d'évaluer les performances, le facteur humain est le plus souvent négligé.
Capital.fr : La question du stress au travail est donc loin d'être résolue…
Yves Clot : Ecouter ne suffit pas pour soigner. C'est une règle de base en psychologie. A force d'écouter sans prendre des mesures, le dialogue risque d'être totalement rompu. Dans les discussions actuelles, les employeurs se contentent encore d'évaluer les risques sans consulter leurs salariés sur la qualité du travail accompli.
Capital.fr : C'est-à-dire…
Yves Clot : Les salariés ont des capacités de créativité qui ne sont pas suffisamment exploitées. Plutôt que de parler de "risques psychosociaux", je préfère d'ailleurs utiliser le concept de "ressources pyschosociales". Pour donner du sens au travail, il est possible de recréer une dynamique collective. Il faut réconcilier le conseil d'administration, les syndicats et le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans une nouvelle institution, dont la mission serait de discuter des critères d'évaluation professionnelle. Respecter le travail bien fait est la meilleure des préventions contre le stress, car il n'y a pas de "bien-être" sans respect du "bien faire".
Propos recueillis par Sandrine Chauvin
http://www.capital.fr/carriere-management/interviews/les-entreprises-ne-valorisent-pas-assez-le-travail-bien-fait-583625
* "Le Travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux" (éd. La Découverte)
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