Dans le contexte de grève des magistrats, avocats et huissiers de justice qui, mis en accusation, dénoncent un manque de moyens, de budgets et d’effectifs ne leur permettant pas de faire correctement leur travail, le Monde rappelle le suicide de Philippe Tran-Van, juge d’instruction, qui le 16 septembre 2010 s’est donné la mort.
La lettre écrite par ce magistrat pour expliquer son geste décrit un profond contexte de souffrance au travail : surcharge de travail, grande implication personnelle pour y faire face au détriment de sa vie familiale, absence de la moindre reconnaissance, dénigrement de ses capacités et qualités personnelles, procédures disciplinaires.
Dans l’exercice empêché de sa charge, les propos de sa femme dénoncent une souffrance éthique : « Pour lui, avoir à établir des priorités, devoir choisir, abandonner des gens à leur détresse, c’était insupportable. »
Parmi les règles de métier, telles que les a théorisées la Psychodynamique du travail, les règles éthiques impliquent un accord entre pairs sur ce qui dans le travail est considéré comme valide, correct, juste ou légitime. Quand les règles éthiques sont atteintes, « le sujet en arrive à exécuter des ordres que pourtant il réprouve parce qu’ils provoquent le désarroi, la souffrance, l’angoisse ou le désespoir des victimes. D’apporter ainsi son zèle à un système qui génère la souffrance et l’injustice provoque un conflit entre ce que le sujet sait ne pas devoir accepter et ce qu’il fait quand même. » (1)
Exercer sa profession dans le domaine de la Justice, avoir choisi de représenter la Loi, et ne pouvoir dans le quotidien de son travail se sentir dans le respect de règles fondamentales tant pour soi que pour ses collègues porte une atteinte majeure à l’équilibre du corps et à l’organisation du psychisme.
La lettre du juge d’instruction témoigne d’un écart qu’il ne pouvait plus combler entre un idéal de soi, ses valeurs, ce qui concrètement en situation de travail était juste ou injuste de faire, moralement acceptable ou pas et les compromis qui régissaient son activité. La visée éthique du travail au regard du sens que l’on souhaite donner à sa vie est centrale.
Valérie Tarrou
1) Molinier, P., (2006). « Les enjeux psychiques du travail ». Paris : Payot.P. 127.
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