Dans la démarche d’analyse et de compréhension d’une situation génératrice de souffrance au travail existe une interrogation douloureuse récurrente formulée par les salariés : «Comment le travail peut-il faire si mal ?»
Le ton de la voix parle de trahison. D’expérience structurante, le travail est devenu destructeur. Certains témoignent du soutien trouvé dans l’exercice de leur travail lors d’un divorce, d’autres de la ressource qu’a constitué leur activité pendant le traitement d’une longue maladie. Que le sens du travail ait déjà été ainsi mis en tension ou vécu sans questionnement par le salarié, l’ampleur de la souffrance ressentie provoque en elle-même une sidération de la pensée du sujet.
Dans une même phrase un sujet en souffrance du fait de son travail peut confier «au travail, j’étais une personne», puis enchaîner «je ne comprends pas ce qui m’arrive, pourquoi je suis détruit par cette histoire». Le lien est difficile à ressentir et à penser entre la centralité du travail dans l’équilibre de la vie et l’atteinte majeure que la dégradation des conditions du travail porte à la santé.
La souffrance est vécue au présent, massive, sans distanciation. La perte de l’espoir de changer la situation dans l’organisation du travail marque le passage à un état pathogène qui attaque le corps, la cognition, la dignité et l’estime de soi.
«Fatigue, maux de tête, de ventre, douleurs articulaires, etc., notre corps est le premier à nous signaler que les limites sont atteintes. Puis l’anxiété monte avec l’apparition de troubles du sommeil, l’augmentation de la prise de médicaments ou d’alcool. Lorsque nous commençons à avoir peur d’aller travailler et que les ruminations deviennent obsédantes, il est urgent de se faire aider.» conseille Marie Pezé, psychologue et psychanalyste.
Pour un sujet, il n’y a que la médiation de la parole pour exprimer un ressenti qui ne se voit pas. Une parole désirée par le sujet, adressée et accueillie dans un cadre qui permette l’expression d’une parole authentique sur le travail. A l’extérieur de l’entreprise, afin de ne pas rester isolé, le salarié peut se tourner vers le médecin du travail, son médecin généraliste ou une consultation spécialisée.
Le rapport au travail est ambigu, en parler révèle ses ambiguïtés. Il est difficile de cheminer vers la compréhension d’une situation de travail sans en rapatrier les contradictions à l’intérieur de soi et ainsi percevoir sa part de contribution à l’insupportable. Il est alors important d’établir une chronologie des événements qui va éclairer l’enchainement des modifications des conditions de travail et généralement aider le salarié à prendre conscience que bien qu’impliqué il n’est pas responsable.
Quand donner du sens à son action n’est plus permis car pointé comme indésirable pour atteindre des objectifs qui relèvent de l’idéal et non du réalisable, quand on en vient à mobiliser son intelligence pour réaliser des actes réprouvés, quand confiance, solidarité et collectifs sont découragés et que la situation au travail est vraiment difficile à supporter, il faut connaître ses droits, ne pas hésiter à les faire valoir et, dans la mesure du possible, rétablir la parole collective pour dire ce qui dysfonctionne dans le travail.
Valérie Tarrou
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