mardi 26 janvier 2010

A propos du lien de subordination du contrat de travail

« …Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné… » (Cass. soc., 13 novembre 1996, Bull. civ., V, n° 386). De cette définition, donnée par la jurisprudence et non par la loi, résultent les trois critères caractéristiques du contrat de travail : la prestation de travail réalisée au profit d’un autre ; la rémunération due en contrepartie ; le lien de subordination (subordination juridique).

Si prestation et rémunération peuvent être discutées, voire négociées, lors d’une embauche donnant lieu à une convention écrite, qu’en est-il du troisième critère : le lien de subordination ? Cette limitation d’une partie des droits et des libertés personnelles s’exprime par le règlement intérieur et se traduit par un pouvoir disciplinaire assorti de sanctions.

Cette dépendance juridique a-t-elle une place dans les pensées du sujet désireux de, ou encourager à, ‘trouver vite un emploi’ ? Quelles sont les conséquences de cette soumission théoriquement volontaire dans le psychisme et les gestes du sujet au travail ?

La théorie de la culture comme relation entre dominants et dominés formulée par le philosophe allemand Fichte en 1793 permet une première compréhension de la dimension psychologique du lien de subordination instauré par le contrat de travail.

Entendue via la question philosophique de la Culture (à la fois source de formation et synonyme du mot civilisation), la subordination est abordée par Fichte comme élément de détermination extérieure nécessaire pour tendre vers la culture, qu'il définit comme le « processus par lequel l’homme devient libre, c’est-à-dire ne dépend plus que de lui-même, de son Moi pur ».

Pour Fichte, « aucun phénomène n’a de valeur qu’autant qu’il concourt à la culture ». Au regard de cette affirmation, si la mise au service d’un autre de son habileté professionnelle constitue un processus individuel qui tend à l’obtention d’une reconnaissance véritablement nécessaire pour exister, travailler participe également à la création collective et historique de la culture, donc favorise l’exercice de la liberté, de « l’absolue indépendance par rapport à tout ce qui n’est pas nous-mêmes ».

Ce développement harmonieux, tant individuel que social, qui se dégagerait ainsi de l’exercice professionnel d’un métier, s’invente et fluctue depuis le couple antique maître-esclave. Le cadre actuel juridique du travail peut être pensé comme instaurant d’entrée un lien de domination qui pervertit le processus de culture en ne permettant plus à l’homme de vouloir et de pouvoir ce qu’il veut, en accord avec ce qu’il considère devoir.

L’acte de soumission à un vouloir plus puissant retire aux sujets « le pouvoir de vouloir des fins qui soient les leurs ». Ainsi « Coupé de son but final – l’autonomie absolue de la volonté – le processus culturel s’est transformé en une histoire de la domination et de l’asservissement de tous par quelques-uns. » Même si cette domination contient en elle-même les germes de l’identité personnelle qui se consolide dans l’intersubjectivité des relations de travail, et dans la reconnaissance par autrui du travail effectif réalisé.

Le lien de subordination du contrat de travail induit une conscience dominée alors même que le sujet conserve une autonomie d’action objectivée par les efforts qu’il déploie dans le réel de son activité. Ainsi le travail permet de produire une objectivité propre au sujet, et rejoint la conception de la culture comme processus de formation.

Ce paradoxe illustre la condition de réciprocité dont seule l’existence transcende l’asservissement possiblement contenu dans le lien de subordination, c’est-à-dire une réciprocité qui implique la reconnaissance des besoins de chacun et du travail des uns par les autres et leur confère un caractère social.

Cet article qui n’est pas militant propose une réflexion qui n’apporte pas de réponse mais travaille une question. Ramener à la conscience l’existence du lien de subordination dans le contrat de travail réduirait la force nocive d’un aussi puissant levier psychologique. Cela peut permettre de mieux comprendre la souffrance au travail et de d’accroître la vigilance sur ce vécu.

Valérie Tarrou

Fichte J.G. (rééd. 1974). Considérations destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution française. Paris : Payot.

Dejours C. (1993). Travail : usure mentale. Paris : Bayard Editions.
Fischbach F. (1999). Fichte et Hegel - La reconnaissance. Paris : Puf.
Freud S. (1929). Le Malaise dans la culture. Paris : PUF Quadrige.
Hegel G.W.F. (rééd 1975). La Phénoménologie de l’esprit. Paris : Aubier.

1 commentaire:

  1. Merci pour cet apport à la réalité sociale du travail. Je me demande si le lien de subordination n'est pas la construction juridico-sociale des hommes pour justement rendre possible la coopération dans le travail. Il constituerait le rempart face au clivage de l'insconscient de l'homme, à la violence de son imaginaire tout puissant. Cette soumission est alors décrétée pour rendre possible l'expression civile de l'habileté singulière de chacun, et sa confrontation, sa coopération avec celles des autres... Peut-être faut-il en débattre?
    Danielle

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