Constater la diminution ou ressentir la perte de son pouvoir d’agir sur sa situation personnelle de travail génère une souffrance intime au jour le jour. Car vivre sa vie d’adulte suppose de déployer son pouvoir d’agir et d’exprimer sa créativité. Au sens où Winnicott, Canguilhem, Vygotski, entendent cette notion qui rend rapidement synonymes : activité, santé, initiative, dépassement de soi.
Tosquelles (1) écrit : « c’est en faisant des choses que l’homme se fait lui-même ». Pour ce psychiatre, le mot « activité » caractérise l’homme car c’est ainsi qu’il adapte le milieu à lui-même, qu’il l’affecte, par un processus d’« humanisation ». L’homme instaure un rapport avec l’activité propre, individuelle comme collective, qui tire le monde à lui et qui le maintient en bonne santé en augmentant son pouvoir d’agir.
Ces mots « pouvoir d’agir » théorisés et analysés par nombreux chercheurs, psychologues, philosophes…, découlent d’un champ conceptuel vaste, ils parlent de la dynamique qui porte l’être humain. Ils se réfèrent à la pensée de Spinoza, philosophe du XVIIe siècle :
« Ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire qu'il appartienne à un autre, que l'État est institué ; au contraire, c'est pour libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir. […] La fin de l'État est donc en réalité la liberté. »
Le « droit naturel d’exister et d’agir » implique de vivre à la fois le plus longtemps possible et dans la meilleure santé possible (droit d'exister), et de satisfaire l’homme en tant qu’être de désir poussé à l'action (droit d'agir). Et Spinoza de souligner dans son « Traité politique » la fragilité de ce droit naturel qui conditionne la liberté individuelle et doit pourtant être socialement organisé pour ne pas être illusoire et pour constituer un authentique bonheur.
Transposée dans le milieu professionnel cette pensée peut s’exprimer ainsi : l’activité à la fois contenue et permise par une organisation du travail va développer ou atrophier le pouvoir d’agir selon la latitude réelle rencontrée par le salarié d’exercer sa créativité au sein d’une tâche.
Pour Yves Clot (2) deux éléments internes au sujet qui travaille conditionnent le rayonnement de l’activité : le sens et l’efficience qui augmentent ou diminuent le pouvoir d’agir. Une activité pleine d’un sens qui compte vraiment pour le sujet entraîne un accroissement d’énergie, mais celle-ci demande à être pérennisée par l’efficience de l’action menée. La dynamique du pouvoir d’agir ne se réalise pas en ligne droite et peut se perdre dans le réel d’une activité vidée de ses valeurs.
Dans sa rencontre avec des contraintes externes, le pouvoir d’agir comporte un caractère potentiellement conflictuel dans la mesure où il se heurte au développement du pouvoir d’agir d’autrui donc à la question du pouvoir. (3)
Quand un salarié en situation de souffrance liée au travail sollicite de l’aide, l’amener à exprimer et à penser son histoire, par l’écoute et la réflexion, peut lui permettre de renouer avec le sens personnel et légitime de son activité. Puis de sortir de l’impasse psychique qui bloque l’usage de son corps et de sa subjectivité en comprenant que ce sont le sens et l’efficience de l’activité qui sont mis à mal dans un conflit de logiques de travail camouflé sous de bien réelles quoique trompeuses difficultés interpersonnelles.
Revenir au sens de son travail et à l’économie des gestes de métier revitalise le pouvoir d’agir du sujet et le rend à ses « possibilités non réalisées » dont, selon Vygotski, « l’homme est plein à chaque minute » (4).
Valérie Tarrou
1) Tosquelles F. (2009 – 1ère éd. 1967). « Le travail thérapeutique en psychiatrie ». Toulouse : Erès.
2) Clot Y. (2008). « Travail et pouvoir d’agir ». Paris : Puf.
3) Davezies P. (2006). Repères pour une clinique médicale du travail, « 29e Congrès national de Médecine et Santé au Travail ». Lyon, le 31 mai 2006.
4) Vygotski L. (trad. 2003). « Conscience, inconscient, émotions ». Paris : La Dispute.
Tosquelles (1) écrit : « c’est en faisant des choses que l’homme se fait lui-même ». Pour ce psychiatre, le mot « activité » caractérise l’homme car c’est ainsi qu’il adapte le milieu à lui-même, qu’il l’affecte, par un processus d’« humanisation ». L’homme instaure un rapport avec l’activité propre, individuelle comme collective, qui tire le monde à lui et qui le maintient en bonne santé en augmentant son pouvoir d’agir.
Ces mots « pouvoir d’agir » théorisés et analysés par nombreux chercheurs, psychologues, philosophes…, découlent d’un champ conceptuel vaste, ils parlent de la dynamique qui porte l’être humain. Ils se réfèrent à la pensée de Spinoza, philosophe du XVIIe siècle :
« Ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire qu'il appartienne à un autre, que l'État est institué ; au contraire, c'est pour libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir. […] La fin de l'État est donc en réalité la liberté. »
Le « droit naturel d’exister et d’agir » implique de vivre à la fois le plus longtemps possible et dans la meilleure santé possible (droit d'exister), et de satisfaire l’homme en tant qu’être de désir poussé à l'action (droit d'agir). Et Spinoza de souligner dans son « Traité politique » la fragilité de ce droit naturel qui conditionne la liberté individuelle et doit pourtant être socialement organisé pour ne pas être illusoire et pour constituer un authentique bonheur.
Transposée dans le milieu professionnel cette pensée peut s’exprimer ainsi : l’activité à la fois contenue et permise par une organisation du travail va développer ou atrophier le pouvoir d’agir selon la latitude réelle rencontrée par le salarié d’exercer sa créativité au sein d’une tâche.
Pour Yves Clot (2) deux éléments internes au sujet qui travaille conditionnent le rayonnement de l’activité : le sens et l’efficience qui augmentent ou diminuent le pouvoir d’agir. Une activité pleine d’un sens qui compte vraiment pour le sujet entraîne un accroissement d’énergie, mais celle-ci demande à être pérennisée par l’efficience de l’action menée. La dynamique du pouvoir d’agir ne se réalise pas en ligne droite et peut se perdre dans le réel d’une activité vidée de ses valeurs.
Dans sa rencontre avec des contraintes externes, le pouvoir d’agir comporte un caractère potentiellement conflictuel dans la mesure où il se heurte au développement du pouvoir d’agir d’autrui donc à la question du pouvoir. (3)
Quand un salarié en situation de souffrance liée au travail sollicite de l’aide, l’amener à exprimer et à penser son histoire, par l’écoute et la réflexion, peut lui permettre de renouer avec le sens personnel et légitime de son activité. Puis de sortir de l’impasse psychique qui bloque l’usage de son corps et de sa subjectivité en comprenant que ce sont le sens et l’efficience de l’activité qui sont mis à mal dans un conflit de logiques de travail camouflé sous de bien réelles quoique trompeuses difficultés interpersonnelles.
Revenir au sens de son travail et à l’économie des gestes de métier revitalise le pouvoir d’agir du sujet et le rend à ses « possibilités non réalisées » dont, selon Vygotski, « l’homme est plein à chaque minute » (4).
Valérie Tarrou
1) Tosquelles F. (2009 – 1ère éd. 1967). « Le travail thérapeutique en psychiatrie ». Toulouse : Erès.
2) Clot Y. (2008). « Travail et pouvoir d’agir ». Paris : Puf.
3) Davezies P. (2006). Repères pour une clinique médicale du travail, « 29e Congrès national de Médecine et Santé au Travail ». Lyon, le 31 mai 2006.
4) Vygotski L. (trad. 2003). « Conscience, inconscient, émotions ». Paris : La Dispute.
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