Christophe Dejours* dans le livre coécrit avec Florence Bègue « Suicide et travail : que faire ? », également dans des articles du Monde (16-09-09, 25-09-09) et de L’Humanité (21-09-09) analyse la signification de ces gestes dramatiques au regard des conditions de travail créées par la logique gestionnaire dominante dans les organisations de travail, également au regard de la conception majeure de la centralité du travail dans la construction identitaire de chaque personne.
Il s’agit ici de préciser ce concept d’identité pour mieux saisir ce qui peut être mis à sac dans le vécu subjectif d’un salarié par les nouvelles formes d’organisation du travail. Que ce salarié soit homme, femme, faible, solide, cadre ou ouvrier.
Le concept d’identité a été introduit dans les sciences humaines par Erik H. Erikson en 1950 avec son ouvrage « Enfance et Société ». Pourtant, le sens du concept « identité » n’est pas fixé. Chacune des sciences humaines tente de le préciser, ce qui donne de nombreuses définitions et approches. Si en sociologie, l’identité est collective, chacun peut en avoir plusieurs (sexe, croyance, groupe de travail…), la conception psychologique de l’identité est personnelle : un sujet n’a qu’une identité.
Cette identité unique, bien que composée de divers éléments : du sentiment de son être matériel, de son unité, de ses appartenances, de ses différences, de ses valeurs, témoigne d’une continuité temporelle, de l’autonomie et de l’existence de l’individu. Elle permet de se penser fidèle à soi-même à travers le temps et les transformations.
Continuité, pourtant l’identité est une part de nous même qui n’est jamais définitivement stabilisée, elle a besoin d’une confirmation quotidienne. En continuant à se construire, de façon privilégiée dans la relation à l’autre, affective comme professionnelle, elle permet de penser la part évolutive, imprédictible du devenir d’un sujet. Elle est nécessaire pour accueillir les mutations, les évolutions, externes comme internes, en particulier celles exigées par le travail. A la différence de la personnalité qui est constituée d’invariants précocement organisés en structure de personnalité et désigne ce qui ne change pas dans l’individu.
On comprend la difficulté d’accepter et de ressentir ce double mouvement : l’identité dans sa conception psychologique est à la fois continuité d’un soi identique à nul autre et à la fois, part instable, à construire tous les jours, qui demande des efforts, qui peut être menacée, et donner parfois lieu à une « crise » d’identité .
L’atteinte portée à l’identité, sa précarisation par la demande incessante d’adaptation, de déplacement, de transformation n’est pas vécue en pleine conscience. Face à des changements le salarié cherche à s’adapter, déploie des efforts, consent des sacrifices, dont celui de sa stabilité identitaire, qui déteignent sur sa famille, sa disponibilité, sa santé. De source privilégiée, le travail n’apporte plus au salarié l’élément principal qui assure le renforcement identitaire : la reconnaissance**. C'est-à-dire que n’existe plus la reconnaissance par autrui du travail effectivement réalisé. La seule carence de reconnaissance est douloureuse, mais qu’en est-il quand elle est remplacée par des paroles qui nient le travail accompli, méprisent l’investissement, et refusent la soumission pourtant exigée ?
Dans l’exercice empêché de bien faire son travail selon des critères collectivement validés et légitimes, un salarié ne peut plus se situer et ne peut plus être situé.
Le premier risque qu’il encourt est de se perdre dans sa construction identitaire.
Le deuxième risque est que cette construction entravée, tant personnelle que professionnelle, engendre une perception pervertie et culpabilisante de la situation.
Le troisième risque, dans l’augmentation de la souffrance vécue, est l’atteinte de la santé, mentale et physique, et la possibilité d’une décompensation avec pour conséquences possibles des pathologies telles l’angoisse, la dépression, des troubles-musculo-squelettiques… et le suicide, ultime moyen de dire que l’on est, qui l’on est.
Valérie Tarrou
*Psychiatre, psychanalyste, professeur titulaire de la chaire de Psychanalyse santé travail au Cnam.
** Thème prochainement abordé sur ce blog.
Dejours, C. ; Bègue, F (2009). Suicide et travail : que faire ? Paris : Puf.
Du Roy, I. (2009). Orange stressé. Le management par le stress à France Télécom. Paris : La Découverte.
Molinier, P. (2006). Les Enjeux psychiques du travail. Paris : Payot.
Ricoeur, P. (1990). Soi-même comme un autre. Paris : Seuil.
Cette identité unique, bien que composée de divers éléments : du sentiment de son être matériel, de son unité, de ses appartenances, de ses différences, de ses valeurs, témoigne d’une continuité temporelle, de l’autonomie et de l’existence de l’individu. Elle permet de se penser fidèle à soi-même à travers le temps et les transformations.
Continuité, pourtant l’identité est une part de nous même qui n’est jamais définitivement stabilisée, elle a besoin d’une confirmation quotidienne. En continuant à se construire, de façon privilégiée dans la relation à l’autre, affective comme professionnelle, elle permet de penser la part évolutive, imprédictible du devenir d’un sujet. Elle est nécessaire pour accueillir les mutations, les évolutions, externes comme internes, en particulier celles exigées par le travail. A la différence de la personnalité qui est constituée d’invariants précocement organisés en structure de personnalité et désigne ce qui ne change pas dans l’individu.
On comprend la difficulté d’accepter et de ressentir ce double mouvement : l’identité dans sa conception psychologique est à la fois continuité d’un soi identique à nul autre et à la fois, part instable, à construire tous les jours, qui demande des efforts, qui peut être menacée, et donner parfois lieu à une « crise » d’identité .
L’atteinte portée à l’identité, sa précarisation par la demande incessante d’adaptation, de déplacement, de transformation n’est pas vécue en pleine conscience. Face à des changements le salarié cherche à s’adapter, déploie des efforts, consent des sacrifices, dont celui de sa stabilité identitaire, qui déteignent sur sa famille, sa disponibilité, sa santé. De source privilégiée, le travail n’apporte plus au salarié l’élément principal qui assure le renforcement identitaire : la reconnaissance**. C'est-à-dire que n’existe plus la reconnaissance par autrui du travail effectivement réalisé. La seule carence de reconnaissance est douloureuse, mais qu’en est-il quand elle est remplacée par des paroles qui nient le travail accompli, méprisent l’investissement, et refusent la soumission pourtant exigée ?
Dans l’exercice empêché de bien faire son travail selon des critères collectivement validés et légitimes, un salarié ne peut plus se situer et ne peut plus être situé.
Le premier risque qu’il encourt est de se perdre dans sa construction identitaire.
Le deuxième risque est que cette construction entravée, tant personnelle que professionnelle, engendre une perception pervertie et culpabilisante de la situation.
Le troisième risque, dans l’augmentation de la souffrance vécue, est l’atteinte de la santé, mentale et physique, et la possibilité d’une décompensation avec pour conséquences possibles des pathologies telles l’angoisse, la dépression, des troubles-musculo-squelettiques… et le suicide, ultime moyen de dire que l’on est, qui l’on est.
Valérie Tarrou
*Psychiatre, psychanalyste, professeur titulaire de la chaire de Psychanalyse santé travail au Cnam.
** Thème prochainement abordé sur ce blog.
Dejours, C. ; Bègue, F (2009). Suicide et travail : que faire ? Paris : Puf.
Du Roy, I. (2009). Orange stressé. Le management par le stress à France Télécom. Paris : La Découverte.
Molinier, P. (2006). Les Enjeux psychiques du travail. Paris : Payot.
Ricoeur, P. (1990). Soi-même comme un autre. Paris : Seuil.
Que dire de plus ... peu de personnes sont capables de tenir leur identité, autrement dit leur santé mentale, en l’absence de tout rapport au travail. Pour la plupart d'entre nous, l’identité n’est pas toujours aussi assurée. Aussi l’occasion d’asseoir son identité grâce à la reconnaissance par le travail est une deuxième chance pour la construire ou la maintenir. Le travail a bien des vertus (et oui !), notamment en tant que « travail ensemble », il est un pacificateur social. Le manque de travail, lui, génère des violences. Le sujet privé d’apporter une contribution à la société, se voit, en retour, également privé de reconnaissance. Une sorte de "double peine". La défaillance identitaire fait décompenser le sujet (dépression, addiction, violence : vis-à-vis des autres et ... contre soi-même). La destruction de la santé mentale est un drame pour le sujet lui-même et un drame pour la société.
RépondreSupprimerPar ailleurs, je ne suis pas peu fière de rédiger le premier commentaire de ce blog. Longue vie à l'Observatoire Indépendant Santé Travail ;-D !
Sabine AUMAITRE - Psychologue