Dans l’article daté du 10 mai : « Comment le travail peut-il faire si mal, jusqu’à mener un salarié au suicide ? », j’ai abordé cette question par l’angle de la construction identitaire. Reprenant le raisonnement, je souhaite maintenant l’éclairer par le thème de la centralité du travail qui constitue pour moi l’une des clés incontournables pour comprendre la souffrance au travail.
La participation essentielle du travail à notre construction identitaire est peu pensée dans l’exercice quotidien du métier. Quand un sujet appréhende et s’empare plus clairement du rôle fondamental du travail dans ce processus qui se prolonge tout au long de l’existence, il prend la mesure de ce que Christophe Dejours (1) désigne par le concept de « centralité du travail ».
La prise de conscience de la centralité du travail dans notre fonctionnement psychique, met en lumière l’importance de sa place dans notre vie. Elle souligne tout ce que l’on met en jeu quand on travaille, tout ce que l’on affirme de soi et de ses valeurs à travers ses gestes de travail. Elle révèle proportionnellement tout ce qui peut être abîmé en nous quand nos critères éthiques constitutifs d’un bon travail, d’un travail qui a du sens, qui donne du sens, sont remis en question, bafoués, ou brisés.
Réaliser que travailler n’est pas externe, que ça touche à notre noyau dur, que le travail nous transforme, nous façonne, et ne constitue pas seulement une source de revenus tend à faire d’une personne ce que Marie Pezé (2) appelle un « salarié adulte ». Un salarié plus conscient de l’investissement subjectif et affectif qu’il prend le risque de mettre dans son travail. Et ainsi, peut-être plus à même de repousser toute démarche qui viserait à porter atteinte à son travail et à sa santé.
Je voudrais citer ici une définition de la santé pour préciser ce que j’entends par ce mot. Parce que pour moi, la santé ne désigne pas seulement l’absence de la maladie. Il s’agit de la définition donnée par Georges Canguilhem (3), médecin et philosophe du XXe siècle. Il a particulièrement pensé la place de la santé comme un continuum entre le normal et le pathologique. Il écrit : « Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence, et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi, mais qui ne seraient pas ce qu’ils sont sans elles. »
Reconnaître la place et le rôle du travail dans notre vie, mesurer ce qui se joue pour nous en terme de construction identitaire, de respect de nos valeurs et de nos choix, renforce la conscience de notre autonomie, de notre responsabilité tant vis-à-vis de nous-mêmes que vis-à-vis des autres, et contribue à bien se porter.
Valérie Tarrou
1) Christophe Dejours, psychanalyste, psychiatre, professeur titulaire de la chaire Psychanalyse, Santé et Travail du Cnam.
2) Marie Pezé, psychologue, psychanalyste, fondatrice des consultations Souffrance et Travail. Pezé, M., Saada, R., Sandret, N. (2011). « Travailler à armes égales – Souffrance au travail : comment réagir ».Paris : Pearson. P. 44.
3) Canguilhem, G. (réed 2002). « Ecrits sur la médecine ». Paris : le Seuil. P. 68.
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