mardi 28 septembre 2010

«Le travail à en perdre la vie»

Une intervention du Dr Brigitte Font Le Bret, psychiatre, parue le 27 septembre 2010 dans l’Humanité.
« Cet écrit est un appel au secours contre le déni à reconnaître que certaines formes d’organisation du travail rendent de plus en plus malade et tuent de plus en plus. Depuis plus de vingt ans, je reçois des salariés de France Télécom, et je mesure l’aggravation des symptômes qui me sont livrés dans l’intimité de mes consultations… »
Pour lire la suite de l’article :
http://www.humanite.fr/26_09_2010-le-travail-%E2%80%A8%C3%A0-en-perdre-la-vie%E2%80%A6-454239

samedi 18 septembre 2010

Au travail l’addiction est salée

Penser le travail comme une dépendance pose la question de la frontière entre s’investir fortement pour un travail aimé, choisi, qui peut relever de la passion, et donner excessivement, en durée et en quantité au regard des normes du métier, au point de ne plus savoir ou pouvoir s’arrêter.

L’hyperactivité peut témoigner de conflits intrapsychiques, avec ou sans troubles de la personnalité, comme d’une lutte contre des conditions de travail exigeant des efforts considérables pour produire dans un environnement de plus en plus contraignant. Quelle que soit sa source, cet engagement croissant et durable s’accompagne de la perte du plaisir au travail (1) et de l’anéantissement du processus de sublimation.

Cette forme de rapport subjectif au travail est désignée par le terme ergomanie (obsession du travail), les chercheurs américains emploient workaholism depuis que Wayne Oates (2) a inventé le mot par analogie avec alcoholism. La psychiatre Marie-Pierre Guiho-Bailly (3) parle d’addiction au travail.

Elle la définit comme la relation pathologique d’un sujet à son travail caractérisée par une compulsion à lui consacrer de plus en plus de temps et d'énergie et ce, en dépit des conséquences négatives sur sa vie personnelle, affective, familiale, sociale et des effets délétères sur sa santé.

Cette dépendance appelle l’auto-accélération, cesser de trop agir devient impossible, les tentatives d’arrêt échouent. Le workaholique a besoin de tout contrôler, il veut être plus que parfait et appréhende les loisirs. Incapable de se relaxer, une interruption forcée du travail (week-end, accident…) génère en lui une forte angoisse et un manque authentique accompagné de malaises physiques et/ou psychiques.

Cette addiction sans drogue est non seulement légale mais socialement valorisée et tolérée par l’entourage… jusqu’aux stades des complications. Heures supplémentaires, repas écourtés, travail rapporté à la maison, vacances perturbés entraînent l’apparition de difficultés dans la vie familiale et sociale.

Quand l’énergie déployée s’amenuise pour laisser place à l’irritabilité et au stress, apparaissent des troubles psychosomatiques : troubles du sommeil, lombalgies, hypertension artérielle, céphalées persistantes, problèmes cardio-vasculaires… Le burn-out, fatigue et épuisement physique et psychique extrême, représentant le syndrome majeur de cette addiction.

L’autodiagnostic de dépendance au travail peut être facilité par le recours au WART (Work Addiction Risk Test) élaboré par Bryan Robinson en 1989. Le lien suivant en permet une passation, il en existe de nombreux autres:
http://www.doctissimo.fr/test-psychologie-TRAVAIL_ADDICTION.htm

La prise en charge de cette souffrance implique le médecin et le psychologue du travail pour un suivi spécialisé. La démarche psychothérapeutique aidera le sujet à évoluer d’une perception faussement positive de ses actes vers la compréhension et l’acceptation du caractère pathologique de son comportement. Afin qu’il désire rompre avec son addiction et amorcer un changement pour échapper au « fléau des années 2000 ».

Valérie Tarrou

1) « Plaisir et souffrance dans le travail ». Ouvrage collectif sous la direction de Christophe Dejours (1988). Orsay.
2) Oates, W (1971). « Confessions of a Workaholic ». New York : World Publishing.
3) Guiho-Bailly, M.-P., Goguet, K. (2004). « L’addiction au travail en psychiatrie quotidienne ». Revue Travailler n°11. Martin Media.

jeudi 9 septembre 2010

Pénibilité : « Un faux débat »

Propos de Marie Pezé recueillis par Simon Barthélémy du Journal l’Alsace – 09-sept-10 (1)
Marie Pezé, vous êtes psychologue, fondatrice de la première consultation Souffrance et Travail à l’hôpital Max-Fourestier de Nanterre, et auteur de «Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés» (Pearson, 2008). Nicolas Sarkozy propose que les personnes atteintes d’un taux d’incapacité de 10 %, et non plus de 20 %, puissent avoir droit à la retraite à 60 ans. Qu’en pensez-vous ?

20 %, cela n’avait pas l’air énorme, mais c’est un taux presque jamais atteint : comme si on devenait sourd, ou amputé des deux mains. Une main abîmée, c’est 5 % d’invalidité, or la main est l’organe du travail par excellence… Le problème, c’est que ces débats sur l’invalidité et la pénibilité se réfèrent aux tableaux des maladies professionnelles reconnues. Mais ceux-ci ne rendent pas compte de toutes les pathologies liées au travail physiques ou psychiques. Le « burn-out » (dépression liée au surmenage) ou certains troubles musculo-squelettiques n’y figurent pas, par exemple.
Une grande partie des souffrances liées au travail ne sont pas imputées à son organisation et aux employeurs, et sont donc à la charge de la Sécurité sociale, donc de toute la collectivité. Les traiter individuellement, dans le secret des cabinets médicaux, permet de les dissimuler.

Les syndicats souhaitent au contraire une reconnaissance collective de la pénibilité…

Les statistiques montrent que les ouvriers meurent plus tôt que les cadres, et qu’ils profitent donc moins de leur retraite. Certains métiers provoquent une usure rapide de l’organisme.
En même temps, nous sommes tous bombardés de mails et soumis à des milliards de sollicitations, la secrétaire comme le téléopérateur, et on observe de nouvelles pathologies liées à l’organisation du travail.
Se demander quels métiers doivent être déclarés pénibles, c’est un faux débat, qui noie sous des mots vagues la vraie question sur ce management pathogène. Les salariés français sont parmi les plus productifs au monde (3e), car il leur faut travailler vite, et en 35 heures. Ils arrivent à tenir, car ils sont aussi par ailleurs les plus gros consommateurs d’antidépresseurs, de psychotropes et d’arrêts maladie. Les troubles musculo-squelettiques se multiplient et coûtent très cher. En parler après le déclenchement de la maladie révèle notre incapacité à discuter d’une véritable prévention.

Comment procéder ?

Les commissions parlementaires ont toutes conseillé les mêmes choses : libérer la médecine du travail de son lien avec l’entreprise, et créer des cellules régionales pouvant aller sur le terrain, dans les PME qui n’ont pas toutes les moyens d’avoir leurs services médicaux.
Le débat sur les retraites est à replacer sur ces questions : en quoi le management crée-t-il des pathologies ? Comment faire pour qu’elles coûtent moins cher et n’empêchent pas les gens de s’épanouir dans leur travail ? Si c’était le cas, cela ne les dérangerait pas de travailler un peu plus longtemps.

(1)
http://www.lalsace.fr/fr/france-monde/article/3746956,218/Penibilite-Un-faux-debat.html