dimanche 30 mai 2010

Harcèlement moral : les « agissements répétés » peuvent se produire en un temps très bref

Le premier point caractérisant juridiquement le harcèlement moral (1) est son caractère systématique et répétitif. Le second point est l’intentionnalité de la démarche persécutrice. La théorisation initiale (2) de ces actes de maltraitance les inscrivait dans une certaine durée.
Mais si le code du travail précise que le harcèlement moral se manifeste par « des agissements répétés » il n’exige aucune condition de durée.
Ce point de droit vient d’être renforcé par une décision de la Cour de cassation en date du 26 mai 2010.

L’article du Monde du 28-05-10 (3) rapporte que « Quelques jours, voire quelques heures, suffisent à créer le harcèlement moral d'un salarié. Selon les magistrats de la Cour, ce harcèlement peut naître sur une "brève période", même si la loi exige des "agissements répétés". La justice donne ainsi gain de cause à un salarié qui, quelques jours après un retour de congé de maladie, s'était estimé harcelé par son patron qui l'avait maltraité, mis à l'écart, rétrogradé, dénigré et déchu de quelques responsabilités antérieures.

Les prud'hommes avaient d'abord rejeté l'idée d'un harcèlement, tous ces griefs étant formulés après seulement quelques jours de travail et principalement après un entretien unique qui fixait les nouvelles attributions de l'employé. Or, rappelaient-ils, la loi interdit "les agissements répétés" de nature à porter atteinte à ses droits, à sa dignité, à sa santé ou à sa carrière. Ce qui, selon les juges, supposait une certaine durée, une continuité dans les mauvaises relations.

Mais pour la Cour de cassation, ce raisonnement logique ajoute une exigence que la loi ne prévoit pas : les "agissements répétés" peuvent se produire en un temps très bref et altérer la santé du salarié, justifiant la rupture du contrat aux torts de l'employeur. »

La preuve d’un harcèlement moral n’en reste pas moins difficile à apporter auprès d’un tribunal. Se référer à l’article 1134 du code civil qui porte sur l’effet des obligations contractuelles et invoquer une exécution de mauvaise foi du contrat de travail peut s’avérer une voie juridique plus facile à expliquer et à démontrer pour faire sanctionner un employeur responsable de conduites abusives.

Valérie Tarrou

1) Voir article du blog au 23 novembre 209.
2) Hirigoyen, M.-F. (2001). « Le Harcèlement moral dans la vie professionnelle – Démêler le vrai du faux ». Paris : La Découverte.
3)
http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/05/28/quelques-heures-suffisent-au-harcelement-moral-selon-la-cour-de-cassation_1364302_3224.html#xtor=AL-32280340

jeudi 27 mai 2010

Lire le rapport final de Technologia sur France Télécom

Le cabinet Technologia a été mandaté en septembre 2009 par France Télécom pour mener à bien l’étiologie de la souffrance vécue par les salariés, pour procéder à l’évaluation des risques psychosociaux, et pour proposer un plan de prévention et d'actions visant à mettre fin à cette situation de crise.

Les premiers résultats de l'enquête menée auprès de 102 000 salariés de France Télécom ont été rendus fin 2009. Vendredi 21 mai 2010 Technologia a restitué son rapport final sur la situation du groupe.

Confidentiel, ce document est proposé en lecture sur le site du syndicat Sud PTT :
http://www.sudptt.org/article.php3?id_article=99404.

En 7 chapitres et 1000 pages, le rapport détaille les profondes mutations intervenues depuis la réglementation du marché des télécommunications et, selon Sud PTT, « sonne comme un véritable réquisitoire » contre l’évolution d’un management historiquement ancré dans la compétence technique vers un management gestionnaire.

Valérie Tarrou

mardi 18 mai 2010

La mètis, intelligence du corps

Intelligence rusée, intelligence pratique, mais également sagesse, prudence, conseil, sont personnifiés par la déesse grecque Mètis.

Mètis possédait le don de la métamorphose qu’elle utilisa pour échapper un temps au désir de Zeus. Devenue sa première femme, Mètis est enceinte de la future déesse Athéna. Un oracle avertit Zeus que si Métis enfantait à nouveau, il s’agirait d’un fils qui le détrônerait de la même manière qu’il avait détrôné Cronos et que Cronos avait détrôné Ouranos. Pour éviter la poursuite de cette tradition familiale, Zeus convainc Mètis de se transformer en goutte d’eau et l’avale. C’est après l’incorporation de Mètis et de ses pouvoirs, dont il saura faire usage en se métamorphosant en cygne, taureau, pluie d’or…, que Zeus devint le roi des dieux.

Forme d’intelligence pratique, parfois proche de la combine, la mètis qui s’enracine dans le corps (1) est une notion moins noble que la sophia, sagesse qui s’appuie sur une connaissance de soi et du monde et s’accompagne d’un bonheur suprême, ou la phronèsis, sagesse prudente, habileté vertueuse et rationnelle.

Dans le contexte professionnel, la mètis, telle que la pense la psychodynamique du travail, est inséparable de la notion « d’habileté professionnelle ou de métier » (2). Elle désigne une capacité à s’adapter à une situation, à trouver une solution, en accordant dans un contexte de prise de risques le primat au succès et non à l’éthique.

Mobiliser son intelligence rusée pour palier le décalage entre la prescription et l’activité réelle à un caractère transgressif et, exercée isolement, cette attitude devient source de souffrance. Mais quand cette mise en jeu de son corps emporte la reconnaissance collective de l’utilité d’une telle pratique alors, s’allient plaisir et ingéniosité.

L’emploi de la mètis qui s’oppose au recours à la force est dérangeant car il appartient à tous, hommes, femmes, animaux, dieux…, c’est une intelligence transversale à toutes les classes sociales. Ulysse, Pénélope, Shéhérazade, le Petit Poucet, le renard, ainsi que de nombreux personnages de contes populaires sont des héros à la mètis qui par ingéniosité ont sauvé leurs vies.

La mètis ne relève pas du diplôme mais du métier, cette intelligence pratique est toujours située dans une action. La cognition seule ne suffit pas pour travailler, bien que valorisée, déjà par Platon, l’intelligence logico-déductive doit être combiner sans cesse à l’intelligence du corps.

Si la mètis facilite le travail, elle développe des conduites qui à l’observation peuvent sembler absurdes et illégitimes. La théorisation de la mètis par la psychodynamique du travail favorise l’interprétation de comportements par ailleurs difficiles à élucider, de situations insolites qui permettent de mieux faire son travail en répondant à plusieurs rationalités.

Valérie Tarrou
1) Dejours, C. (2009). « Travail vivant - 1 : Sexualité et travail ». Payot : Paris. P. 29 à 31.
2) Molinier, P. (2006). « Les Enjeux psychiques du travail ». Payot : Paris. P. 90 à 102.

mardi 4 mai 2010

Pour écouter Christophe Dejours sur France Culture

Christophe Dejours, psychanalyste, psychiatre, clinicien du travail, invité de l’émission «A voix nue» sur France culture du 3 au 7 mai 2010. Au programme, Lundi : Les années de formation. Mardi : La clinique du travail. Mercredi : Le corps dans tous ses états. Jeudi : La souffrance au travail. Vendredi : Les voies de l’émancipation.