samedi 26 décembre 2009

Le pouvoir d’agir ou la dynamique qui porte l’être humain

Constater la diminution ou ressentir la perte de son pouvoir d’agir sur sa situation personnelle de travail génère une souffrance intime au jour le jour. Car vivre sa vie d’adulte suppose de déployer son pouvoir d’agir et d’exprimer sa créativité. Au sens où Winnicott, Canguilhem, Vygotski, entendent cette notion qui rend rapidement synonymes : activité, santé, initiative, dépassement de soi.

Tosquelles (1) écrit : « c’est en faisant des choses que l’homme se fait lui-même ». Pour ce psychiatre, le mot « activité » caractérise l’homme car c’est ainsi qu’il adapte le milieu à lui-même, qu’il l’affecte, par un processus d’« humanisation ». L’homme instaure un rapport avec l’activité propre, individuelle comme collective, qui tire le monde à lui et qui le maintient en bonne santé en augmentant son pouvoir d’agir.

Ces mots « pouvoir d’agir » théorisés et analysés par nombreux chercheurs, psychologues, philosophes…, découlent d’un champ conceptuel vaste, ils parlent de la dynamique qui porte l’être humain. Ils se réfèrent à la pensée de Spinoza, philosophe du XVIIe siècle :
« Ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire qu'il appartienne à un autre, que l'État est institué ; au contraire, c'est pour libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir. […] La fin de l'État est donc en réalité la liberté. »

Le « droit naturel d’exister et d’agir » implique de vivre à la fois le plus longtemps possible et dans la meilleure santé possible (droit d'exister), et de satisfaire l’homme en tant qu’être de désir poussé à l'action (droit d'agir). Et Spinoza de souligner dans son « Traité politique » la fragilité de ce droit naturel qui conditionne la liberté individuelle et doit pourtant être socialement organisé pour ne pas être illusoire et pour constituer un authentique bonheur.

Transposée dans le milieu professionnel cette pensée peut s’exprimer ainsi : l’activité à la fois contenue et permise par une organisation du travail va développer ou atrophier le pouvoir d’agir selon la latitude réelle rencontrée par le salarié d’exercer sa créativité au sein d’une tâche.

Pour Yves Clot (2) deux éléments internes au sujet qui travaille conditionnent le rayonnement de l’activité : le sens et l’efficience qui augmentent ou diminuent le pouvoir d’agir. Une activité pleine d’un sens qui compte vraiment pour le sujet entraîne un accroissement d’énergie, mais celle-ci demande à être pérennisée par l’efficience de l’action menée. La dynamique du pouvoir d’agir ne se réalise pas en ligne droite et peut se perdre dans le réel d’une activité vidée de ses valeurs.

Dans sa rencontre avec des contraintes externes, le pouvoir d’agir comporte un caractère potentiellement conflictuel dans la mesure où il se heurte au développement du pouvoir d’agir d’autrui donc à la question du pouvoir. (3)

Quand un salarié en situation de souffrance liée au travail sollicite de l’aide, l’amener à exprimer et à penser son histoire, par l’écoute et la réflexion, peut lui permettre de renouer avec le sens personnel et légitime de son activité. Puis de sortir de l’impasse psychique qui bloque l’usage de son corps et de sa subjectivité en comprenant que ce sont le sens et l’efficience de l’activité qui sont mis à mal dans un conflit de logiques de travail camouflé sous de bien réelles quoique trompeuses difficultés interpersonnelles.

Revenir au sens de son travail et à l’économie des gestes de métier revitalise le pouvoir d’agir du sujet et le rend à ses « possibilités non réalisées » dont, selon Vygotski, « l’homme est plein à chaque minute » (4).

Valérie Tarrou

1) Tosquelles F. (2009 – 1ère éd. 1967). « Le travail thérapeutique en psychiatrie ». Toulouse : Erès.
2) Clot Y. (2008). « Travail et pouvoir d’agir ». Paris : Puf.
3) Davezies P. (2006). Repères pour une clinique médicale du travail, « 29e Congrès national de Médecine et Santé au Travail ». Lyon, le 31 mai 2006.
4) Vygotski L. (trad. 2003). « Conscience, inconscient, émotions ». Paris : La Dispute.

dimanche 20 décembre 2009

« Femmes au travail, la double peine »

Reprise d’un article de Télérama du 19 décembre 2009 : une tribune de Marie Pezé.

« Hasard du calendrier, le cabinet Technologia a rendu en début de semaine les premiers résultats de son enquête menée auprès des 102 000 salariés de France Télécom tandis que Jean-François Copé remettait hier le rapport de la Commission sur la souffrance au travail qu'il avait mis sur pied en octobre suite aux nombreux suicides à France Télécom. Conclusion : à France Télécom comme ailleurs, il y a du boulot pour améliorer les conditions de travail. « Ressenti général très dégradé, fragilisation de la santé physique et mentale de certains salariés, grande défaillance du management, ambiance de travail tendue, voire violente », explique Technologia. « Situation du travail très dégradée, management souvent inadapté et démuni, déshumanisation du monde du travail, peur du déclassement », répond en écho le rapport Copé, qui dresse un catalogue de propositions pour lutter plus efficacement contre la souffrance au travail.

Marie Pezé, psychologue et psychanalyste, créatrice de la première consultation spécialisée sur la souffrance au travail en 1997, a fait partie de cette commission. A l'occasion de la publication du rapport et pour apporter une nouvelle contribution au débat, nous publions une tribune qu'elle nous a envoyée sur un thème qui lui tient particulièrement à cœur : la situation spécifique des femmes dans l'organisation du travail en France.

Les femmes dans l’organisation du travail en France : La double peine
En France, dans l’organisation du travail, l’étalon de référence demeure le corps masculin avec ses normes physiques, morphologiques, physiologiques. Les hommes ont, historiquement, organisé le travail au masculin neutre. Or, des transformations notables ont été observées ces trente dernières années, en termes de croissance de l’activité féminine dans le monde entier. En France aujourd’hui, 80 % des femmes âgées de 25 à 49 ans sont actives. 34 % d’entre elles appartiennent à la catégorie « cadres et professions intellectuelles supérieures ».

Mais, à niveau de formation égale, hommes et femmes ne se voient toujours pas affectés aux mêmes postes de la division sociale du travail :
- inégalités de distribution dans les différents étages de l’économie nationale,
- dissymétries dans l’accès aux postes de responsabilités,
- importantes disparités de rémunération (le salaire féminin est inférieur de 27 %).

Certaines tendances dans l’évolution de l’emploi féminin sont même préoccupantes :
- anciennes, comme la déqualification à l’embauche, la répétitivité des tâches,
- nouvelles, comme le temps partiel imposé, l’accroissement du travail en horaires décalés, l’augmentation des contraintes de rythme, le retour de congés maternité aléatoire.

Toutes les études soulignent la surdité de l’organisation du travail à la charge temporelle et mentale des « impondérables » familiaux qui incombent systématiquement aux femmes. Les absences qui en découlent, tout comme les congés maternité, relèvent de « l’absentéisme féminin ». Les aléas de la prise en charge de la sphère familiale (maladies des enfants, vacances, activités extrascolaires, réunions avec les professeurs...) entrent fréquemment en conflit avec les contraintes d’un emploi. « Pour les femmes qui occupent des emplois qualifiés, il est notoire que le fait de prendre le mercredi pour les enfants se solde souvent par le fait de devoir ramener du travail à la maison. Quand les “femmes actives” surveillent les devoirs d’un œil, tout en enfournant la pizza surgelée de l’autre, tandis qu’elles répondent sur leur mobile à des appels professionnels, en même temps qu’elles bouclent un rapport pour le lendemain et démarrent une lessive, il devient une gageure de décrire leur activité et les savoir-faire mobilisés, comme de calculer avec certitude un “temps de travail” ». (P. Molinier, 2000)

L’organisation du travail au masculin neutre a donc peu de compréhension pour les difficultés spécifiques que rencontrent les femmes qui veulent conjuguer vie professionnelle et vie familiale. Bien pire, le chef d’entreprise se charge de rappeler à une femme qu’il embauche qu’elle aura des enfants, des règles, une ménopause qui la rendront moins disponible qu’un homme sur le même poste. Certes. On peut rappeler aux femmes à juste titre que leur corps a un ancrage biologique. Faut-il leur en faire grief ? Surtout quand cet ancrage biologique a des aspects positifs pour les hommes, au-delà de leur mise au monde ? Dans notre société, ce sont majoritairement les femmes qui prennent en charge la santé et l’entretien domestique de leur famille, (rendez-vous chez le médecin, le dentiste, le pédiatre, devoirs des enfants, linge, courses, cuisine…). Pour les hommes, la prise en charge de la santé, de la gestion de la sphère familiale et du travail domestique, sont donc externalisée sur les femmes.

Si les hommes peuvent s’approprier les tâches à responsabilité qui impliquent une forte bio-disponibilité, il faut rappeler que la performance masculine n’est souvent obtenue que grâce au soutien du corps masculin par les femmes. Secrétaire aux petits soins, panseuse efficace et admirative, épouse dévouée épargnent le patron, le chirurgien, le mari quant à la prise en charge du réel. La capacité de travail des hommes est donc soutenue par le travail corporel des femmes, travail invisible, qui va de soi et dont le don doit être fait avec le sourire.

Outre la discrimination salariale à l’embauche, la discrimination dans les affectations, l’assignation à la sous-traitance de la sphère privée, les femmes, athlètes du quotidien, se voient privées de la reconnaissance de leurs savoir-faire invisibles. Les entreprises pourraient-elles enfin organiser le travail au masculin/féminin, en cessant de retourner contre elles ce que le corps des femmes apporte à la pérennité de la société, ce que le courage silencieux des femmes épargne aux corps des hommes qui travaillent ? Une question à poser aux femmes qui travaillent, une seule : quelle modification de l’organisation du travail faciliterait votre vie ? »

mercredi 16 décembre 2009

« La tenue vestimentaire est-elle importante au travail ? »

L’actualité sociale des derniers mois a mis au centre des enjeux politiques de construire une meilleure prévention des risques psychosociaux au travail, en particulier par un renforcement des actions de la médecine du travail et des pouvoirs du CHSCT.

Le groupe socialiste présente ce jour à l’Assemblée nationale 5 pistes pour « travailler mieux afin de vivre mieux » :
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2009/12/15/01011-20091215FILWWW00605-stress-au-travail-le-ps-presente-5-pistes.php
Les députés UMP rapportent aujourd’hui les conclusions de leurs travaux pour « travailler mieux » à travers 4 priorités et 30 propositions, et pour refuser « l’amalgame entre souffrance et travail » : http://www.lasouffranceautravail.fr/tl_files/telechargements/Rapport%20final-2.pdf

Par ailleurs, la clinique des souffrances vécues au quotidien par les salariés rappelle que si il appartient aux politiques d’établir un cadre légal de travail respectueux du corps et de la subjectivité des femmes et des hommes, le praticien doit entendre dans le récit du patient l’ensemble et le détail des peurs, des souffrances et des difficultés.

Ainsi, quand un sujet en dépression suite à une période de harcèlement au travail pose la question suivante : « la tenue vestimentaire est-elle importante au travail ? », puis ponctue par un silence la formulation de cette interrogation, le clinicien ne doit-il pas s’en emparer à la fois comme une clé proposée pour ouvrir des portes psychiques et comme une demande exigeant une réponse rapatriant la théorie dans le champ clinique ?

En ce sens, les concepts de la psychologie du travail permettent de s’engager en précisant que la présentation de soi relève des règles sociales. Des règles qui organisent les relations entre les gens, en vue de relations compréhensives et pacifiées. Ce sont les usages, la politesse, la présentation de soi, la convivialité. Elles sont nécessaires car nous choisissons rarement nos partenaires de travail.

Les règles sociales peuvent être prescrites par l’entreprise, ou faire l’objet d’une élaboration par un collectif de travail. Dans ce second cas, elles tendent à favoriser la possible construction d’une confiance réciproque, qui elle non plus n’est pas première dans les relations de travail. Elaborées et remaniées par un collectif de travail, quand il existe, les règles de métier, dont les règles sociales, servent à se mettre d’accord sur ce qui est considéré comme valide, correct, juste ou légitime.

Quand les manières de se vêtir sont prescrites - port d’uniforme, « dress code » - elles agissent sur le corps et sur l’image du corps car elles exigent de renoncer à sa part de singularité pour se conformer à un moule, pour s’intégrer. Ce travail d’adaptation sociale, tant extérieur qu’intérieur, n’est pas psychologiquement neutre et peut générer une forme de souffrance au travail.

Sans prescription, sans que rien ne soit dit, les vêtements témoignent pourtant de l’intégration ou de l’inadaptation à une équipe déjà constituée. Cela implique que ces règles peuvent être excluantes, quand leur acceptation se révèle trop difficile. L’intériorisation des règles de métier suppose un cheminement individuel, qui peut exiger de modifier quelque chose en soi.

Les règles sociales constituent l’une des quatre grandes familles de règles qui forment le vivre ensemble au travail, avec les règles techniques (façons de faire), les règles langagières (façons de dire) et les règles éthiques (valeurs et normes de référence). Leur connaissance et leur existence sont pour le sujet au travail à la fois une ressource et une contrainte.

Valérie Tarrou

Cru, D. (1988). « Les règles de métier ». In Plaisir et souffrance dans le travail, T1. Paris : PSY. T.A., 29-51.
Molinier, P. (2006). Les Enjeux psychiques du travail. Paris : Payot.

mardi 15 décembre 2009

« Soigner le travail - Itinéraire d’un médecin du travail »

Le Monde se fait l’écho du livre de Gabriel Fernandez « Soigner le travail – Itinéraire d’un médecin du travail » paru aux éditions Erès en octobre 2009.
http://www.lemonde.fr/talents-fr/article/2009/12/14/soigner-le-travail-de-gabriel-fernandez_1280177_3504.html

Gabriel Fernandez est docteur en médecine et en psychologie, médecin du travail en activité au sein de l’hôpital public. Il participe aux enseignements de la chaire de Psychologie du travail du Cnam, ainsi qu’aux travaux de recherche de l’équipe Clinique de l’Activité, il y développe plus particulièrement l’analyse psychologique du mouvement humain en situation de travail.

Cet ouvrage relate un certain nombre de situations auxquelles le médecin du travail est confronté. Le premier des cinq chapitres est consacré au « cœur du métier » : la consultation elle-même. Le deuxième au « tiers-temps », cela désigne les activités en milieu de travail, les visites d'entreprise, les études de postes de travail, etc. Le troisième concerne « les CHSCT », comités d'hygiène, de sécurité, et des conditions de travail, dont les médecins du travail sont partie prenante. Le quatrième chapitre est consacré à l'« aptitude au travail ». Le dernier chapitre est lié aux problèmes « connexes », parmi lesquels le stress.

Gabriel Fernandez souligne le rôle qu’il considère comme fondamental de l’instance collectif de travail qu’il présente comme « le sentiment chez chacun de ses membres de participer à une œuvre commune qui le transcende » et qui représente pour lui la meilleure prévention contre toutes les pathologies.

Valérie Tarrou

vendredi 4 décembre 2009

Marie Pezé : généralistes et médecins du travail face à la souffrance au travail

Marie Pezé, psychologue et psychanalyste, est interviewée par Medecinews dans le cadre de sa consultation Souffrance et Travail à Nanterre. Des propos développés dans un entretien filmé consultable dans les archives d'octobre du blog : « Marie Pezé : témoignage en 3 vidéos ». http://www.medecinews.com/640/la-souffrance-au-travail-se-banalise-dans-tous-les-secteurs.html

Vous dîtes que sans les arrêts de travail des médecins généralistes, nous aurions plus de suicides. Malgré tout, est-ce qu’il n’est pas plus dangereux parfois de sortir quelqu’un de son univers professionnel ?
80 % de mes patients retrouvent un travail après avoir été sorti du poste où il subissait une organisation du travail pathogène. La décision de sortir un salarié de son poste de travail se prend après mûre réflexion et après avoir utilisé toute les possibilités internes à l’entreprise (mutation, reclassement, CIF, formation..). Faire cesser, faire sortir est une nécessité clinique qui évite la décompensation grave et irréversible.

Beaucoup de médecins, comme vous le savez, sont en burn-out. Et , en tant que libéraux, nous n’avons pas de médecine du travail. Que pouvons-nous faire pour un confrère en épuisement professionnel ?
Il faut aller consulter directement dans les services de pathologies professionnelles qui sont au nombre de 50 en France, ou bien dans les consultations spécialisées dans la Souffrance au travail ( voir liste des consultations spécialisées )

J’ai souvent vu dans ma consultation des cadres extrêmement investis dans leur travail. Mais à quel moment, le surinvestissement devient une souffrance ?
C’est une question clinique passionnante. Soit la surcharge de travail et l’hyperactivité aliénante sont d’origine organisationnelle. Les méthodes managériales utilisées orchestrent l’assujettissement des corps et des psychismes par les moyens technologiques qui effacent la frontière entre vie privée et vie professionnelle. Proposer au salarié de devenir un héros en atteignant les objectifs qui feront la gloire et le prestige de son entreprise vient capturer notre envie de laisser une trace, de contribuer au développement d’une histoire, d’être reconnu par nos pairs.
Soit le sujet se shoote au travail comme d’autres à la drogue pour calmer son vide intérieur ou son angoisse et s’impose ses rythmes, ses exigences, ses objectifs, sans parvenir à diminuer une charge de travail qu’il juge pourtant excessive . Mais quelquefois, ce désir d’exister, d’être reconnu comme un être unique s’engouffre dans le travail, rien que le travail. Se détacher du travail devient impossible. La souffrance surgit lorsque le travail devient toute la vie.

Les salariés ont souvent l’impression que le médecin du travail dépend totalement du patron. Du coup, ils ont une certaine défiance vis à vis de lui. Cependant, en tant que médecin traitant, que puis-je attendre de lui ?
L’image du médecin du travail est malheureusement souvent négative alors qu’il est un acteur médical central dans l’entreprise puisqu’il est le conseiller du salarié comme du chef d’entreprise. Il est le seul à pouvoir entrer dans l’entreprise, faire une visite de poste, mettre inapte temporairement ou définitivement, faire muter, reclasser, alerter sur une situation de harcèlement véritable. Il fait appliquer le Code du travail. Les pratiques de coopération avec lui sont fondamentales et il est soumis au secret professionnel comme les autres médecins.

Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 26-08-08 sur les maladies à caractère professionnel :
http://www.medecinews.com/assets/pdf/suivre/beh_32_2008.pdf

mardi 1 décembre 2009

Signaler les « salariés fragiles »

Le Parisien du 30-11-09 : « France Télécom : “Le secret médical est bafoué” »
« A la tête du principal syndicat des médecins du travail, Bernard Salengro condamne la demande faite par France Télécom de lui signaler les salariés qui doivent faire l’objet d’une attention particulière. Une démarche contraire, explique-t-il, au Code de déontologie médicale et même au Code pénal. »
http://www.leparisien.fr/economie/france-telecom-le-secret-medical-est-bafoue-30-11-2009-728399.php

Nombreux articles, presse, blogs, TV, relaient l’annonce des démissions d’une dizaine de médecins du travail chez France Télécom, sur soixante-dix environ, qui par ce geste fort expriment leur refus de « passer en revue l’ensemble des personnes qui devraient faire l’objet d’une attention redoublée ». Une « demande » de leur direction qui suppose la trahison du secret médical.

Si le médecin du travail a bien un rôle de conseil auprès de l’employeur, il lui appartient de traduire les plaintes individuelles en problèmes collectifs. Bernard Salengro donne un exemple : « Il peut dire que dans telle région ou sur tel poste, les salariés souffrent. Mais il est strictement interdit de nommer les malades, sauf exception de risques extrêmes comme un suicide. »

Pour le Dr Catherine Morel, médecin du travail qui suivait les salariés de France Télécom en particulier à Annecy, sa démission est avant tout motivée par « une impossibilité d'exercer son métier de médecin du travail ». En effet, théoriquement indépendants, les médecins du travail sont salariés par l’entreprise qui peut exercer des pressions sur leur activité : ignorer les recommandations d’ajustement de poste, rejeter les conseils de mutation, refuser les demandes d’adaptation temporaire d’objectifs de productivité… alors même que l’employeur est tenu de les suivre.

Le Dr Morel dénonce dans une lettre adressée à sa direction le manque de moyens auquel elle s’est heurtée : « Pendant ces deux années, et encore plus depuis les derniers événements dramatiques, j'ai eu le sentiment d'être cantonnée au cabinet médical uniquement dans l'écoute de salariés en souffrance, sans aucun moyen d'action pour faire évoluer ce constat négatif. »

« Sans aucun moyen d’action », ainsi exclue de la lutte contre la souffrance des salariés qui a conduit à des suicides, le médecin exprime sa propre souffrance au travail quand elle constate la perte de son pouvoir agir dans l’intérêt de la santé des salariés alors que, de part ses fonctions de médecin du travail, elle devrait disposer du pouvoir de les protéger contre des conditions de travail nocives pour leur santé physique ou psychique.

Dans cette position difficile, comment le médecin du travail peut-il développer la confiance des salariés malades à cause de leur travail ? Hommes et femmes qui ne sont pas à regarder comme fragiles mais comme des fenêtres ouvertes sur les dysfonctionnements de l’organisation du travail.

Valérie Tarrou

Le Service de santé au travail est chargé de veiller à la santé et à la sécurité des salariés. Le médecin du travail, a un rôle de conseil auprès de l’employeur, des salariés et représentants du personnel dans la prévention des risques et l’amélioration des conditions de travail. Suivant l'importance de l'entreprises, le service de santé au travail peut être propre à une seule entreprise ou commun à plusieurs. Ces services peuvent être assurés par un ou plusieurs médecins du travail. Ce choix est fait par l'employeur, sauf opposition des représentants du personnel préalablement consultés. Les dépenses liées aux services de santé au travail sont à la charge des employeurs ; dans le cas de services interentreprises, ces frais sont répartis proportionnellement au nombre des salariés.